- Un an après la chute de Bachar al-Assad, des dizaines de milliers de Syriens sont descendus ce lundi dans les rues de Damas pour célébrer cet anniversaire.
- Sous sa dictature, un million d’hommes et de femmes a été enfermé dans des centres de détention, dont la tristement célèbre prison militaire de Sednaya.
- Une équipe de TF1 s’est rendue dans ce lieu qui symbolise à lui seul les atrocités commises par ce régime.
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Le 20H
Haddy Hanour est un miraculé. Pendant presque dix ans, il a été détenu dans les prisons du régime de Bachar al-Assad. Alors que des milliers de Syriens célèbrent ce lundi la chute du dictateur, il a accepté de retourner dans la plus célèbre et la plus sanglante prison du pays, celle de Sednaya, en compagnie d’une équipe de TF1. Le jour du reportage, il emprunte la même route que lorsqu’il a été incarcéré. Son crime ? Avoir manifesté contre le dictateur, c’était en 2011. « Le fourgon était en fer blindé. Il n’y avait aucune fenêtre, aucune vitre. À l’intérieur, impossible pour nous de savoir où nous allions. On appelait ça la voiture à bétail, et on allait à l’abattoir »,
se souvient-il dans le grand reportage du 20H à retrouver en tête de cet article.
30.000 individus tués
La prison de Sednaya, à 30 kilomètres de la capitale, Damas, est un monstre de béton, surnommé parfois « le camp d’extermination ». C’est là que 30.000 individus, principalement des prisonniers politiques, seraient morts dans les années 2010. Le lieu a été libéré lors de la chute de Bachar al-Assad et depuis, la prison est vide, mais il faut une autorisation officielle pour y pénétrer. Des islamistes radicaux, anciens combattants en Syrie, contrôlent désormais les lieux. Sur le chemin, un véhicule semble avoir été abandonné à la hâte par les fidèles du dictateur al-Assad.
Un an après sa chute, on recherche encore ici officiellement les traces de plusieurs centaines de prisonniers. Haddy Hannour montre sur un mur les photos de certains disparus. « Ce jeune homme est originaire de Daraa. Et lui vient d’idlib. Le jour de la libération, les parents sont venus ici et ont mis les photos de leurs enfants avec un numéro à appeler si un rescapé avait des informations à donner sur ces disparus »
, explique-t-il.
Dès qu’on arrivait, il fallait marcher accroupi. Dès que l’on descendait du fourgon, on était immédiatement déshabillés et on était parqués derrière des grilles.
Dès qu’on arrivait, il fallait marcher accroupi. Dès que l’on descendait du fourgon, on était immédiatement déshabillés et on était parqués derrière des grilles.
Haddy Hanour, ancien prisonnier politique
Haddy se rappelle, au geste près, son arrivée il y a quatorze ans, dans cette prison de l’horreur. « Dès qu’on arrivait, il fallait marcher accroupi. Dès que l’on descendait du fourgon, on était immédiatement déshabillés et on était parqués derrière des grilles. Et c’était parti pour un premier déchaînement de torture. Ensuite, on était placés dans des cellules individuelles »,
souligne-t-il. Ces cellules coupées du monde, d’un mètre sur un mètre, on les trouve dans les entrailles de la prison. L’objectif était de soutirer des aveux. « On était dans le noir intégral. On pouvait rester ici de cinq jours à plusieurs mois »
, dit-il.
Juste à côté des cellules, le journaliste de TF1, François-Xavier Ménage, pointe un énorme trou dans le sol. Il indique de quoi il s’agit. « Il y a des familles qui, dès la libération de la prison, sont venus ici en désespoir de cause, espérant retrouver des proches parce qu’on se disait qu’il y avait des tunnels sans fin où étaient cachés des prisonniers. Mais malheureusement, personne n’a été retrouvé et ces tunnels n’existent pas »,
avance-t-il.
En outre, les détenus étaient parfois ligotés de longues heures, avec des simulacres d’exécution, des électrocutions pour faire craquer les prisonniers. « On pouvait sortir dans la cour dix minutes chrono, seulement une fois par mois ou tous les deux mois, mais même ça, c’était accompagné d’actes de torture. On était obligé de ramper jusqu’à la cour. Et chaque prisonnier était frappé à chaque mouvement »,
raconte encore Haddy.
L’ancien bureau du patron de la prison d’alors a été incendiée et brûlée au moment où la prison a été libérée pour qu’aucun documents compromettants ne soit retrouvé.
L’ancien bureau du patron de la prison d’alors a été incendiée et brûlée au moment où la prison a été libérée pour qu’aucun documents compromettants ne soit retrouvé.
François-Xavier Ménage, journaliste TF1
Un an après la chute du régime, les enquêtes patinent cruellement. Face aux affiches de prisonniers disparus, la justice semble ne rien répondre. Direction à présent l’étage supérieur de la prison. Haddy montre une cellule collective. À l’intérieur s’y entassaient des dizaines de prisonniers. Gale, gangrène, parfois la mort, les dépouilles étaient alors laissées au moins deux jours avant d’être extraites de la cellule. L’inhumanité, c’était aussi la nourriture délivrée. « C’est dans une bassine qu’ils servaient la nourriture pour tout le monde. Il n’y en avait pas assez pour tous. On mangeait à même la bassine »,
détaille l’ancien prisonnier politique.
Dans cette prison surpeuplée de Bachar El Assad mouraient de nombreux détenus. « Le prisonnier se mettait debout sur une balustrade et ils utilisaient cette structure pour la pendaison. C’est ainsi qu’on exécutait »
, affirme Haddy. Un an après la chute du dictateur et la libération des prisons, la justice syrienne n’a pas commencé son travail. « Le général et l’officier qui ont pris les décisions d’exécuter tant de détenus ici, sont toujours en liberté. Ils ont éliminé un tel nombre de personnes. On doit se battre pour eux »,
assure-t-il. Pour que la justice passe, encore faut-il des preuves. Or, il ne reste plus rien dans le bâtiment administratif de la prison. « L’ancien bureau du patron de la prison d’alors a été incendiée et brûlée au moment où la prison a été libérée pour qu’aucun documents compromettants ne soit retrouvé »,
précise François-Xavier Ménage.
Les principaux tortionnaires sont en fuite
Il faut se rappeler le désarroi dans cette même prison de Sednaya, il y a un an, alors prise d’assaut par des milliers de Syriens à la recherche d’un proche disparu. La veille, 54 ans de dictature s’écroulait sous nos yeux. Ce bâtiment était l’un des centres névralgiques du système carcéral du clan Assad, là où les décisions arbitraires étaient prises. Avant de prendre la fuite, des proches du régime ont effacé toutes les preuves. Un an plus tard, les principaux tortionnaires n’ont toujours pas été arrêtés. Beaucoup vivent cachés à l’étranger. Assad, Père et fils ont régné sur la Syrie pendant plus d’un demi siècle et l’ampleur des morts en prison n’est toujours pas documentée avec précision.
L’équipe de TF1 est à présent dans le centre-ville de Damas où elle retrouve Diab Serrih, président de l’association des détenus et disparus. Cette structure cherche toujours des milliers de personnes qui étaient dans les prisons du régime de Bachar al-Assad. Ici, une trentaine de personnes se battent tous les jours pour espérer retrouver des dépouilles de prisonniers, parfois enterrés, brûlés. Les familles apportent les rares documents en leur possession et l’enquête commence. « Pour annoncer la mort d’un détenu, le régime mentait, parlant d’une thrombose, d’un rein qui avait lâché ou d’un AVC. Les parents ne recevaient pas le corps. Seulement un certificat de décès »
, raconte-t-il.
L’Association suit actuellement 3.000 dossiers de prisonniers disparus, mais cela fait dix ans que son président, accompagné par Amnesty International, alerte la communauté internationale. « L’Union européenne savait, la France, l’Allemagne savaient qu’il y avait de la torture et des violations des droits de l’homme en Syrie. Nous avons documenté tout cela avec des milliers de pages. Les dossiers sont épais comme un immeuble. La communauté internationale, vous avez fait quoi pendant dix ans ? Vous n’avez pas entendu »,
dénonce-t-il.
Durant tant d’années, les proches du clan Assad ont empoché des centaines de millions d’euros, des pots-de-vin et du racket exigés aux familles de détenus dans l’espoir de libérer leurs proches, mais souvent sans succès. Alors que des investigations se poursuivent à l’intérieur même des geôles, le nombre de prisonniers toujours considérés comme disparus, un an après la chute du régime Assad, est estimé à plus de 100.000.

