« Lorsque nous croyions avoir touché le fond, il y avait encore pire. J’ai rencontré une famille dont trois garçons sur quatre avaient été abusés par le même prêtre, ami de la famille. Le genre de prêtre qui disait aux parents : “Vous êtes fatigués, prenez un week-end, je m’occuperai des enfants.” Et il s’en “occupait”. » A l’occasion des 2 ans du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase), la revue Etudes donne la parole à plusieurs de ses membres, dont l’avocat Jean-Marie Burguburu.

Qu’ils soient magistrat, théologien ou psychologue, tous confient avoir été bouleversés par les récits des victimes qu’ils ont rencontrées entre 2019 et 2021. Leur rapport à l’Eglise a changé, mais pas seulement. « La Ciase m’a déformé et conduit à voir le mal partout, confie son président, Jean-Marc Sauvé. Je ne me posais guère de questions sur des sujets (le rapport au corps ou à l’autonomie, l’emprise, etc.) sur lesquels aujourd’hui j’ai plein d’alertes, de signaux, salubres ou lugubres. »

« Récit traumatique »

Le témoignage le plus touchant est peut-être celui de la théologienne protestante Marion Muller-Colard, qui reconnaît avoir « pleuré à toutes les auditions ». « Dans le récit traumatique des victimes, il y avait toujours deux temps : l’agression et le silence de l’institution auquel elles se heurtaient. Face à ce second temps qui m’a presque paru encore plus cruel, la seule réponse que j’avais, c’était de pleurer, confie-t-elle. Exactement ce que la plupart des évêques avaient été infoutus de faire. »

L’autre temps fort de ce numéro d’avril se trouve dans une série d’articles sur l’état de nos démocraties occidentales, au sein desquelles « une part croissante de la société est fatiguée d’être mal représentée ou se sent privée de la possibilité d’influer sur la conduite des affaires publiques », dit la philosophe Nathalie Sarthou-Lajus. Deux articles sont par exemple consacrés aux Etats-Unis, avec cette question que pose le prêtre et sociologue Pierre de Charentenay : « La stratégie de Trump sonne-t-elle le glas de la démocratie américaine ? » Attaque des contre-pouvoirs, délégitimation des opposants, justification du recours à la violence… Les risques existent bel et bien.

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Ce monde menaçant et chaotique fournit en tout cas une occasion pour interroger, avec la dominicaine Anne Lécu, notre rapport à la « déception » : « Nous pouvons être déçus par nous-mêmes, par les autres, par notre Eglise, même par notre Dieu. » Dans un plaidoyer pour une prise en compte réelle de notre fragilité, elle appelle à ne pas y répondre par la quête d’une inatteignable « perfection idéalisée », qui ne ferait que nous épuiser. « Nous cherchons à “guérir”, de tout, du malheur (…) de nos limites et de notre finitude, oubliant par là que la guérison n’est jamais un retour à avant, mais bien souvent une capacité à vivre avec des cicatrices. »

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