Histoire d’une expression. C’est un slogan qui capture l’impératif moral issu de la seconde guerre mondiale. Selon l’historien Raul Hilberg, la phrase « plus jamais ça » apparaît pour la première fois, en avril 1945, sur des panneaux faits à la main par les détenus du camp de concentration de Buchenwald. Le slogan est ensuite gravé sur les mémoriaux de Buchenwald, de Dachau ou de Treblinka : il incarne une « leçon de l’histoire » – le plus petit dénominateur moral commun à toute l’humanité après la Shoah.

L’ordre international élaboré après 1945 se construit sur cette injonction. « L’éthique du “plus jamais ça” est une utopie inversée qui projette les catastrophes du passé sur l’avenir », écrivent les sociologues Alejandro Baer et Natan Sznaider, dans Memory and Forgetting in the Post-Holocaust Era : The Ethics of Never Again (« la mémoire et l’oubli dans l’ère post-holocauste, l’éthique du “plus jamais ça” », Routledge, 2017, non traduit). Etonnamment, ajoutent-ils, cette locution a été « peu conceptualisée ».

Que contient cette promesse ? Par qui doit-elle être tenue ? A quoi ce « ça » se réfère-t-il ? « Pendant toute une période, le “ça” était à l’évidence la Shoah, explique Danny Trom, sociologue au CNRS et auteur de L’Etat de l’exil. Israël, les Juifs, l’Europe (PUF, 2023). Encapsulée dans une formule, cette conscience historique était une mauvaise conscience – celle de l’Europe qui avait engendré le crime, celle des Etats-Unis qui avaient fermé leurs portes à l’immigration juive, puis observé le génocide sans agir. »

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Quand les Allemands, en 1949, rédigent leur Constitution, ils sont guidés par ce mot d’ordre : pour ne pas répéter les erreurs du passé, ils se dotent d’un texte destiné à les guider – une Constitution, non pas qui leur ressemble, mais à laquelle ils devront s’adapter. Mais que recouvre cette injonction quand elle est énoncée par les juifs ? Pour le comprendre, il faut, semble-t-il, remonter à 1926, avant la seconde guerre mondiale.

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