Après une année 2023 à la limite maximale visée par les accords de Paris, après les douze derniers mois les plus chauds jamais relevés, après des événements extrêmes de plus en plus violents, des sols et des forêts aux capacités de stockage du carbone en baisse notable, des océans toujours aussi chauds, des espèces sauvages menacées d’extinction, l’indifférence suscitée par l’état de la planète ne laisse d’étonner.
L’environnement a été quasi absent des dernières élections européennes, puis législatives. Au-delà du seul Hexagone, le déni climatique gagne du terrain. Plus la planète se dégrade, plus il est politiquement payant de dénier la situation. Pour le premier parti de France, le Rassemblement national, le « GIEC exagère », alors même que, depuis mai, des vagues de chaleur, des inondations record, et de feux de forêt n’ont cessé d’affecter nombre de régions de l’hémisphère Nord.
Selon le président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, les écologistes sont responsables, par leur refus de curer les cours d’eau, des inondations récurrentes. Le maire de La Bérarde impute au refus des écologistes de canaliser et de dériver le torrent communal la destruction du village par des blocs rocheux. Le ministre de l’intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin, considère souvent les écologistes comme des « terroristes ». Non seulement on se détourne de la réalité et des avertissements émis par des scientifiques, mais encore accuse-t-on les écologistes des malheurs climatiques. Ils seraient la cause des destructions qu’ils annoncent.
Comprendre la puissance du déni
Comment comprendre un tel état de choses ? La distinction entre connaissances « saturées » et « insaturées », entre notions quotidiennes et concepts scientifiques, due au psychologue russe Lev Vygotski (Pensée et langage, Paris, La Dispute, 1997), permet par analogie de comprendre la puissance du déni évoqué. Les notions quotidiennes sont comme « saturées » par l’expérience ordinaire.
Nous en comprenons immédiatement l’usage sans pour autant les comprendre en tant que concepts, c’est-à-dire sur le plan des opérations abstraites qu’ils permettent. Un enfant utilisera quotidiennement et à la perfection la notion de « frère », sans être capable de l’expliquer dans toutes ses configurations.
Au-delà des enfants, les notions « saturées », liées à une expérience directe et récurrente, sont aisées à utiliser et s’imposent avec évidence. Il en va autrement des concepts « insaturés », comme « principe d’Archimède », « révolution » ou « exploitation ». Ce sont des concepts « insaturés » : ils ne sont remplis par aucune expérience directe, mais renvoient à d’autres concepts abstraits.
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