Dans La Vie secrète des couleurs (Éditions du Chêne, 2019), l’écrivaine et historienne britannique Kassia St. Clair raconte un épisode de la vie d’Oscar Wilde devenu légendaire. Arrêté au Cadogan Hotel de Londres, en avril 1895, un livre jaune en sa possession, l’auteur est, le mois suivant, reconnu coupable d’outrage aux bonnes mœurs.

Outre son homosexualité, la couleur de l’ouvrage qu’il détenait alimente également le débat, ainsi que l’explique l’autrice : « Les implications pécheresses de ces livres venaient de France, où, depuis le milieu du XIXsiècle, la littérature à sensation était pressée de façon peu glorieuse entre des couvertures jaune vif. Les éditeurs ont adopté cette méthode comme un outil de marketing utile. » Et de citer le mépris d’Edgar Allan Poe pour « l’éternelle insignifiance de la littérature à dos jaune », ou encore Le Portrait de Dorian Gray, dans lequel le héros se voit remettre un livre à la couverture jaune censé lui ouvrir les yeux sur « les péchés du monde ».

Le jaune n’a pas bonne presse, c’est certain. En tout cas dans sa version la plus classique puisque le doré est, lui, synonyme de gloire, de sagesse, de sacré et de joie. Au fil du temps, le jaune se déprécie : au théâtre, il habille ainsi les affranchis, les parvenus et les hypocrites. Plus globalement, il devient le symbole de la trahison, du mensonge, de la félonie, voire de la folie. Ce qui explique qu’il ait, petit à petit, disparu de la vie quotidienne comme de nos vestiaires.

Plus subtil que le jaune citron

« Ce retrait s’accentue à partir du milieu du XIXe siècle, et ses effets se font encore sentir de nos jours : point n’est besoin d’être un grand observateur pour constater que dans notre univers quotidien, le jaune reste une couleur discrète, très discrète, et ce, partout en Europe », écrit Michel Pastoureau dans Jaune. Histoire d’une couleur (Seuil, 2019), son livre consacré à cette teinte décriée.

Lire aussi | Le maillot de bain drapé, éloge de la lenteur

Une mauvaise réputation qui ne semble pas atteindre le jaune beurre, que l’on a vu dès l’automne 2024 débarquer sur les podiums des défilés. De Chloé à Miu Miu en passant par Jacquemus, Tod’s, Chanel, Loewe, Bottega Veneta ou encore Alaïa, toute la mode l’a adopté. Les célébrités aussi, à l’image de Timothée Chalamet dans un costume Givenchy beurre frais sur le tapis rouge des Oscars 2025.

D’ailleurs, il est recommandé de le porter en look complet (outre-Atlantique, les internautes ont même adopté l’expression stick of butter pour désigner les silhouettes couleur beurre). Plus subtil que le jaune citron, moins terne que le moutarde, il est d’une certaine façon le symbole d’un chic discret. Celui-là même qui fut un temps surnommé quiet luxury et qui continue de séduire, notamment les amateurs de belles matières, de coupes épurées et de couleurs sobres.

Manteau en laine, Sézane, 275 €. Robe Vence, en polyester et rayonne, The Frankie Shop, 129 €. Sandales, Chloé.
Partager
Exit mobile version