Gisèle Pelicot s’est exprimée ce mercredi devant la cour criminelle du Vaucluse.
La victime de son ex-mari a dit vouloir « changer cette société » face aux violences sexuelles faites aux femmes.
Un témoignage juste et déterminé, qui permet à cette femme de 71 ans de devenir « une voix extraordinaire pour toutes les victimes ».

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Le procès des viols de Mazan, une affaire emblématique des violences sexuelles et des ravages de la soumission chimique

Elle a refusé le huis clos pour « toutes les femmes ». Et devient par ce geste, à 71 ans, une icône de la cause féministe. Devant la cour criminelle du Vaucluse, Gisèle Pelicot est à nouveau apparue la tête haute, invaincue, ce mercredi 23 octobre pour son interrogatoire de mi-parcours au procès des viols de Mazan. Elle se dit « totalement détruite » à l’intérieur (nouvelle fenêtre). Mais à l’extérieur, c’est une tout autre impression qu’elle renvoie. Celui d’une femme qui combat pour que la honte change de camp. 

S’exprimer contre la « banalité de la violence »

Sa voix ne tremble plus lorsqu’elle prend la parole, pour la seconde fois depuis l’ouverture de ce procès (nouvelle fenêtre). Si la septuagénaire est tous les jours dans cette salle d’audience, c’est pour « lever le voile sur le viol ». À commencer par ses auteurs. En choisissant de rendre le procès public, celle qui fut victime de son ex-mari pendant une décennie permet à la société de découvrir le visage tout à fait ordinaire de 51 violeurs qui l’ont agressée alors qu’elle était lourdement sédatée. Dans le box des accusés, des pères de famille, des retraités et de bons travailleurs. Toute la société est représentée. 

« On dépasse largement les a priori, les images prétendues des violeurs », note ainsi Jérôme Moreau, porte-parole de la Fédération France Victimes, qui accompagne Gisèle Pelicot dans ce procès. Il confirme qu’ici, la septuagénaire a réussi le coup de force d’inverser le sentiment de culpabilité. « Elle arrive à visage découvert, quand les accusés se cachent derrière des masques et leurs capuches. Ça en dit long », relève-t-il auprès de TF1info. Ce mercredi, celle dont la vie a « basculé dans le néant » appelait de ses vœux toutes les autres victimes à en faire de même. « La honte, ce n’est pas à nous de l’avoir, c’est à eux. »

Par ses prises de parole, c’est la culture du viol dans son ensemble qu’elle dénonce. Et chaque nouvelle audition contient son lot d’exemples. Ce jeudi, alors que Patrice N. était interrogé, une assesseure lui demande pourquoi il a laissé Gisèle Pelicot dans les mains de celui qui était alors son mari, sans dénoncer les faits. À la barre, l’homme de 55 ans rétorque (nouvelle fenêtre) qu’il n’avait « pas envie de perdre [son] temps au commissariat ». 

« Il y a une prise de conscience collective, sur la banalité de la violence », résume Ynaée Benaben, directrice générale l’association En avant toute(s). « Non seulement les violences viennent de Monsieur Tout-le-monde, mais les agresseurs sont nombreux, se connaissant, savent qu’ils existent et sont entourés », souligne-t-elle auprès de TF1info, « il y a de très nombreux autres Dominique Pelicot ». Pour venir en aide aux victimes, Ynaée Benaben rappelle que le 3919 est le numéro national de référence pour l’écoute et l’orientation des femmes victimes de violences.

Gisèle Pelicot démontre à quel point la route est longue

Ynaée Benaben, co-fondatrice de l’association En avant toutes

Contre son gré, Gisèle Pelicot a également jeté une lumière crue sur une autre réalité indéniable dans le parcours de toutes les victimes de viol : la violence du procès. Pour démontrer la bonne foi de leurs clients, les avocats de la défense ont malmené la victime, allant jusqu’à insinuer qu’elle avait contribué à la diffusion des images en refusant le huis clos. L’un d’entre eux est allé jusqu’à l’accuser d’avoir des « penchants exhibitionnistes ». 

« Le procès est un combat et dans ce combat, évidemment, les interrogatoires de la défense sont une épreuve », confirme Jérôme Moreau. Celui qui plaide pour un « accompagnement totalement individualisé et personnalisé » des victimes, relève que toutes ne peuvent pas – ou ne veulent pas – endurer avec une telle « posture » cette épreuve. Même Gisèle Pelicot a bien failli flancher. 

Malgré sa résilience, elle admet le 18 septembre (nouvelle fenêtre) avoir l’impression d’être « la coupable » dans la salle d’audience, exprimant par là même son incompréhension quant au traitement des victimes de viols. « Ici, Gisèle Pelicot est une voix extraordinaire pour toutes les victimes, toutes celles qui n’arrivent pas à un procès avec ces capacités. » Une analyse que partage Ynaée Benaben, pour qui la prise de parole extrêmement juste de la septuagénaire ce mercredi « traduit une réalité, rend compte de vécus qui sont très obscurs, très flous, très fantasmés » : « Elle n’expose pas la plaie, mais le procédé qui y mène, de manière intelligible. »

DÉCRYPTAGE – Gisèle Pélicot, une « femme détruite » mais « déterminée »Source : Bonjour !

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Cible des suspicions, « humiliée », comme elle l’a dénoncé à la barre, Gisèle Pelicot a tout de même tenu bon. Pour elle et pour toutes les victimes, pour que « toutes les femmes puissent se dire : ‘Madame Pelicot l’a fait, je peux le faire ». Et il lui aura fallu un immense courage. Même si elle refuse ce mot, lui préférant celui de « détermination ». Pour que son exemple « serve aux autres », comme elle l’a asséné ce mercredi. Un combat qui lui vaut d’être applaudie, comme chaque jour, à sa sortie de la salle d’audience. « J’ai l’air de parler haut et fort. Mais je n’exprime ni colère ni haine. J’exprime ma détermination à ce qu’on change cette société », lâche-t-elle en conclusion de son propos. Un changement qu’elle a amorcé, indéniablement, et qui s’inscrit dans un « tournant » relevé par les associations. 

Ynaée Benaben rappelle que ce jugement aurait pu ne jamais avoir eu lieu, tant il tient à un enchainement de bonnes pratiques. « L’affaire existe parce que des vigiles se sont dits que filmer sous une jupe, c’était une agression, parce que des femmes ont trouvé que c’était assez grave pour porter plainte, parce que des policiers ont pris la plainte et celle-ci a abouti », liste notre interlocutrice, et parce que in fine, les enquêteurs trouvent les preuves des viols commis sur Gisèle Pelicot. « Notre société a évolué, si bien que désormais les femmes savent qu’elles ont accès à leur droit. Et c’est déjà une grande transformation », se félicite celle qui a fondé il y a plus de dix ans cette association de lutte contre les violences sexistes. Reste désormais à savoir comment la justice tranchera. « Le jugement final posera le jalon de la suite. » 


Felicia SIDERIS

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