Joël Le Scouarnec est jugé à partir de ce lundi 24 février pour 300 viols et agressions sexuelles.
Lors de son interpellation en 2017, les enquêteurs découvrent ses journaux intimes.
À l’intérieur, le récit glaçant de centaines d’agressions sexuelles et la description précise de son mode opératoire.
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Affaire Le Scouarnec : le procès de l’horreur et de l’omerta
Sans ces résumés méthodiques, la personnalité de Joël Le Scouarnec n’aurait certainement jamais éclaté au grand jour. Ces milliers de pages seront sans nul doute au cœur du procès qui s’ouvre ce lundi 24 février devant la cour criminelle du Morbihan, à Vannes. Jusqu’au 20 juin, l’ex-chirurgien est jugé pour 111 viols et 189 agressions sexuelles. Ses victimes présumées : 299 de ses propres patients, âgées de seulement quelques mois à 70 ans, avec un âge moyen de 11 ans.
Pendant des décennies, celui qui pourrait être le plus grand pédocriminel jamais arrêté en France a consigné ses crimes dans des carnets. Des journaux intimes que les gendarmes de Jonzac (Charente-Maritime) découvrent en mai 2017. Alors que sa petite voisine, âgée de six ans, l’accusait de viol, des faits commis à travers le grillage qui séparait les deux maisons, le domicile de Joël Le Scouarnec est perquisitionné et son matériel informatique saisi. Les enquêteurs y découvrent l’innommable, l’inimaginable.
Nom, âge, adresse…
Les premiers écrits datent de 1990, les derniers de 2017. À chaque année, correspondent des dizaines, voire des centaines, de pages. Joël Le Scouarnec y décrit longuement et presque quotidiennement les sévices qu’il faisait subir, particulièrement à des mineurs. Nom de plus de 200 victimes, âge, adresse, contexte de la rencontre, date et nature des faits… Tout est relaté de manière très précise, par moments avec un court commentaire racontant l’acte sexuel. En plus des enfants, l’homme aujourd’hui âgé de 74 ans semblait avoir une obsession pour les poupées, leur donnant des prénoms, les collectionnant à l’envi. Ces dernières lui permettent d’assouvir ses pulsions criminelles et sa « chasse » aux sous-vêtements taille enfant.
À la lecture de ces « cahiers noirs », le médecin respecté et perçu comme très compétent devient un « pervers prédateur », comme l’ont décrit les psychiatres qui l’ont rencontré pendant l’instruction. Ses déviances, allant de la pédophilie à la zoophilie et à la scatophilie, sont toutes évoquées, parfois en détail, révélant une violence inouïe et un vocabulaire extrêmement cru. Un temps surnommé « le chirurgien de Jonzac », son dernier lieu d’exercice, il a en fait agi dans tout l’ouest de la France, de Quimperlé (Finistère) à Loches (Indre-et-Loire), en passant par les Sables d’Olonne (Vendée).
Je me suis proposé pour le surveiller en salle de réveil et c’est ainsi que je me suis retrouvé seul avec lui.
Je me suis proposé pour le surveiller en salle de réveil et c’est ainsi que je me suis retrouvé seul avec lui.
Journal intime de Joël Le Scouarnec
Ces pages noircies pendant plus de trente ans permettent de mieux comprendre la psyché du Dr Le Scouarnec. Dès le début, il se dit conscient de ses dérives. « Je suis à la fois exhibitionniste, voyeur (…) et pédophile et j’en suis très heureux », écrivait-il par exemple en 2004.
Dans de longs paragraphes, Joël Le Scouarnec détaille aussi son mode opératoire. Connaissant par cœur les chambres d’hospitalisation des enfants, il scrutait leur porte et, dès que les parents étaient partis, s’y introduisait sans un bruit. « Quand j’ai vu que le petit S. était seul dans sa chambre, je n’ai pas hésité à y retourner », raconte-t-il. Une autre fois, l’agression a eu lieu alors que la victime était encore sous les effets de l’anesthésie après l’opération : « Je me suis proposé pour le surveiller en salle de réveil et c’est ainsi que je me suis retrouvé seul avec lui. »
Sous prétexte de procéder à un examen médical, il s’accorde le droit de déshabiller de jeunes enfants, incapables de résister à une blouse blanche, symbole d’autorité, et de comprendre que de tels attouchements sont pénalement répréhensibles. Dans ses carnets, le chirurgien va jusqu’à romantiser ses agissements, écrivant « mon petit amour chéri », « je t’aime », « mon chéri, comme tu étais beau » ou encore « adorable petit garçon », tutoyant ses proies comme s’il leur écrivait une lettre.
Son ex-femme au courant dès 1996 ?
Autre élément qui rend ce procès historique : la plupart des victimes ont appris ce qu’elles avaient subi par les enquêteurs eux-mêmes. Certaines n’avaient aucun souvenir des faits, en raison de leur jeune âge ou d’une amnésie traumatique. D’autres s’interrogeaient sur leur peur panique de se rendre chez le médecin, sans jamais comprendre d’où venait cette phobie. Enfin, quelques-unes avaient des flashs et s’étaient confié à leurs parents.
Mais l’ex-femme du septuagénaire, aurait, elle, été au courant bien plus tôt et l’aurait forcé à supprimer ces écrits entre 1993 et 1996. « Le cataclysme est venu s’abattre sur moi et sur mon attirance pour les petites filles et les petits garçons. Elle sait que je suis pédophile », a écrit le chirurgien dès 1996, avant d’ajouter à la date du 28 janvier 1997 : « À la maison. Cela fait neuf mois, depuis qu’elle a découvert que je suis pédophile, que je me suis remis à fumer. J’arrête à nouveau la cigarette pour consacrer tout temps libre et mon argent disponibles à mes activités pédophiles. » Dans une interview au quotidien Ouest-France (nouvelle fenêtre), l’ex-épouse jure pourtant n’avoir « eu connaissance de ses cahiers qu’après son interpellation ».
Les journaux intimes du prédateur sexuel constituent une preuve sans égale. Se sachant confondu, il a reconnu être l’auteur de ces documents : « Si c’est écrit, c’est que vraisemblablement ça a dû arriver. » Mais il a aussi assuré que certains termes relevaient parfois plus du fantasme que de la réalité, expliquant avoir décrit avec une connotation sexuelle certaines consultations médicales qui se seraient déroulées de manière tout à fait normale.
Hors de tout soupçon pendant presque toute sa vie professionnelle, ces registres auront marqué la chute de Joël Le Scouarnec. Étonnamment, les fichiers informatiques n’étaient pas particulièrement protégés, mais à la disposition de tous ceux qui accédaient à l’ordinateur, dans lequel ont aussi été retrouvés plusieurs centaines de milliers de photos et vidéos pornographiques. Un manque de précaution de la part du principal intéressé ? Au cours d’un interrogatoire en janvier 2024, il semble pourtant s’être quasiment réjoui de son arrestation : « Pour moi, la prison a été une libération. Elle m’a libérée de l’emprise que durant trente ans avait sur moi mon attirance sur les enfants. »
Au premier jour de son procès, l’ex-chirurgien a de nouveau reconnu « des actes odieux », disant vouloir « assumer la responsabilité » de ses actes et « des conséquences qu’ils ont pu avoir et qu’ils auront peut-être toute leur vie ». Il encourt 20 ans de réclusion criminelle.