Livre. Le philosophe Jean-Marc Ghitti parle d’un lieu, la Haute-Loire, où il réside. Et plus précisément d’une route : la RN 88, qui relie Lyon à Toulouse en coupant le Massif central en deux. Qu’est-ce qu’une route ? Avec cette question en apparence minuscule, ce penseur préoccupé par la nature de l’espace, de La Parole et le Lieu (Minuit, 1998) à Avec et par-delà l’écologie : la Camargue (Kimé, 2023), pose une réflexion qui s’élargit jusqu’à questionner l’approche du territoire développée en Occident. Car la route n’est pas seulement une bande de goudron, c’est aussi une « idéologie politique » dont son essai La Terre confisquée (La Lenteur, 162 pages, 15 euros) fait sa cible : l’aménagement du territoire.

Le sujet cristallise depuis quelque temps l’attention de l’écologie politique, dans ses luttes (la contestation de l’A69 pilotée par Les Soulèvements de la Terre) comme dans le champ de ses idées, à l’image de l’essai de Nelo Magalhaes Accumuler du béton, tracer des routes (La Fabrique, 2024). Depuis la construction du Massif central comme un « pôle répulsif » à désenclaver, Jean-Marc Ghitti revient sur la constitution de cet imaginaire d’aménagement formulé dans le célèbre essai Paris et le désert français (1947) du géographe Jean-François Gravier, et mis en œuvre avec la modernisation des « trente glorieuses ».

« Géographie de la destruction »

Sous le patronage du penseur technocritique Bernard Charbonneau (1910-1996), et depuis une galerie intellectuelle hétéroclite (Guy Debord, Marcel Mauss, Giorgio Agamben…), Jean-Marc Ghitti ausculte cette modernisation à marche forcée « au service du capital et provenant de la capitale ». La plaisante singularité de sa généalogie tient à l’hypothèse plus large qu’il émet, et qui tente de saisir dans le temps long la logique profonde de cet aménagement technocratique du territoire : à ses yeux, celui-ci n’est que la forme contemporaine d’une « logique de conquête territoriale » dérivant de la souveraineté étatique.

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