C’est l’histoire d’un homme de 53 ans, ingénieur électricien, découvert mort par sa compagne. Nu, son corps est partiellement suspendu, les fesses reposant sur un bureau. Il a un câble attaché autour du cou, dont une extrémité est accrochée au plafond et enroulée sur un treuil au sol. Dans sa main gauche, il tient une télécommande qui lui permet d’ajuster la longueur du câble et donc la pression exercée sur le cou. À proximité, la police a retrouvé différents accessoires : chaînes, cadenas, menottes, sextoys et une paire de bottes à talons aiguilles.

Le délaissé. Dessins de Martin van Maele. Illustration de La Grande Danse macabre des vifs, 1905.

À l’autopsie, l’examen externe a mis en évidence le sillon typique de la pendaison, en forme de V inversé au-dessus du larynx, sans autres lésions traumatiques visibles. Les médecins légistes ont confirmé une compression violente des tissus du cou. Aucune substance toxique n’a été détectée. La cause du décès a été attribuée à une asphyxie autoérotique par pendaison.

Ce cas a été rapporté en mars 2025 dans l’International Journal of Legal Medicine par l’équipe de Lorenzo Franceschetti de l’Institut de médecine légale de l’université de Milan. Ces chercheurs ont réalisé une vaste étude sur les décès autoérotiques, à savoir des morts accidentelles survenant lors d’une activité sexuelle solitaire au cours de laquelle la personne utilise un dispositif pour augmenter la stimulation sexuelle. Ils ont réalisé une revue systématique de la littérature internationale couvrant 44 ans (de 1980 à 2024) ainsi qu’une analyse détaillée de cas signalés aux instituts de médecine légale de Bologne et de Milan.

Dans un tel contexte, la principale cause du décès est un accident par strangulation, la victime utilisant un dispositif pour comprimer son cou. Le but recherché est de provoquer un manque d’oxygénation du cerveau (par restriction de la respiration et/ou de la circulation sanguine), l’hypoxie cérébrale étant censée renforcer le plaisir sexuel chez certains individus. Selon le dispositif utilisé, le décès est dû à un étranglement ou à une pendaison.

Autre cas rapporté par ces légistes italiens, celui d’un homme de 72 ans retrouvé nu par son épouse, pendu dans la salle de bain. Un mouchoir avait été placé dans sa bouche. La scène mettait en évidence un ingénieux système de trois cordes dont l’une était enroulée autour de la main gauche. Ce dispositif permettait au septuagénaire de moduler la pression exercée sur son cou. Un trépied avec une caméra était placé devant le corps, ainsi qu’un couteau (probablement prévu comme dispositif de secours).

La police a examiné les images enregistrées et a retrouvé deux photographies et quatre vidéos montrant des séquences autoérotiques similaires mettant cet homme en scène. Là encore, la nature autoérotique et accidentelle de ce décès par asphyxie ne laissait pas de place au doute.

Ces deux cas post-mortem montrent que, quel que soit l’âge ou le degré de sophistication technique du dispositif d’asphyxie érotique par compression du cou, le risque est le même : la perte de contrôle, pouvant conduire à un décès accidentel.

Strangulation autoérotique

La compression autoérotique du cou constitue une sous-catégorie de l’asphyxie autoérotique, caractérisée par l’application d’une force sur la région antérieure du cou, le plus souvent par un lien (étranglement ou pendaison), plus rarement par la position du corps. La personne peut alors perdre connaissance du fait de l’hypoxie, ce qui peut entraîner la mort. La majorité des décès autoérotiques sont dus à une compression du cou, le plus souvent par pendaison ou strangulation.

Plusieurs facteurs contribuent à ces décès accidentels : la pratique se déroule en solitaire, de façon isolée et sans supervision ; il peut y avoir absence ou défaillance de mécanismes de sécurité permettant de se libérer ; enfin, les pratiquants tendent à surestimer le temps avant la perte de connaissance.

Suicide, homicide ou auto-érotisme ?

Les décès liés à la compression du cou dans un contexte autoérotique représentent un véritable défi pour les médecins légistes. La difficulté réside dans la distinction avec une pendaison à visée suicidaire, un homicide par pendaison ou strangulation, ou encore d’autres types d’accidents.

Certains auteurs d’homicide par strangulation peuvent tenter de maquiller leur crime en accident sexuel, par exemple en suspendant le corps pour donner l’illusion d’une mise en scène autoérotique. Par ailleurs, la situation peut être compliquée par l’intervention des proches découvrant la scène, qui choisissent parfois de brouiller les pistes, mus par la honte, la peur du scandale, l’embarras ou le désir de préserver la dignité du défunt.

Divers types de lésions Publiée en juillet 2025 dans la revue Forensic Science International, une étude australienne s’est penchée sur l’épidémiologie descriptive (aspects démographiques, pathologiques et contextuels) des décès par strangulation autoérotique chez des adultes, identifiés dans la base de données nationale des médecins légistes. Au total, cette étude rétrospective concernait 72 personnes (toutes âgées de plus de 18 ans), dont 8 n’avaient pas été autopsiées. Plus de 90 % de ces individus étaient de type caucasien et de sexe masculin, et 70 % avaient moins de 50 ans. La plupart (86,1 %) ne présentaient pas de preuve documentée d’un problème de santé mentale.

Des blessures des tissus mous du cou ont été identifiées dans 84 % des cas. Des lésions ano-génitales ont également été observées, la plupart causées par la strangulation du pénis et des bourses avec divers accessoires, tels que des cordes, des anneaux péniens ou des ceintures de chasteté.

Chez les femmes, des blessures au vagin et aux lèvres ont été constatées. Dans les deux sexes, des saignements, lacérations et abrasions ont été relevés, généralement associés à l’insertion de corps étrangers.

Les lésions cutanées au niveau de la tête et du cou étaient fréquentes (abrasions, ecchymoses, lacérations). Elles pourraient être liées à certaines pratiques ou résulter des efforts déployés par la personne, se retrouvant coincée, pour tenter de se libérer.

Il est à noter qu’aucune blessure de défense n’a été mise en évidence lors de l’examen externe à l’autopsie. Or, ce type de lésions est fréquemment observé dans les cas de strangulation résultant de violences ou d’homicides conjugaux. L’absence de blessures défensives peut donc aider à écarter l’hypothèse d’un homicide.

Des fractures osseuses ont parfois été observées (dans près de 8 % des cas), notamment de l’os hyoïde (situé au niveau du cou et impliqué dans la déglutition, la parole et la respiration), de la septième vertèbre cervicale et des os du nez. Ces fractures pourraient résulter d’une décélération brutale, consécutive à une glissade, une chute ou encore à un effondrement provoqué par une perte de connaissance.

Toutes les fractures de l’os hyoïde ont été relevées chez des personnes entièrement suspendues. Cela s’observe notamment lorsque le dispositif utilisé est rigide, comme des chaînes ou des colliers métalliques.

Une étude, publiée en juillet 2025 dans le Journal of Forensic Sciences par la même équipe italienne, a montré que la prévalence des blessures au cou était plus élevée chez les personnes décédées suite à un homicide par strangulation que chez celles décédées suite à un suicide par compression du cou ou à une compression cervicale autoérotique. Ainsi, la présence de lésions étendues au cou, telles que des fractures et/ou des hémorragies, doit faire suspecter un homicide.

Cordes, ceintures, harnais, colliers, sacs en plastique

La totalité des décès recensés a résulté d’une compression cervicale par ligature. La corde était le dispositif le plus fréquemment employé (38 % des cas), suivie des ceintures (19 %), des harnais et des colliers (18 %). Dans de rares cas, les victimes avaient eu recours à des sacs en plastique, des tuyaux, des ceintures de sécurité ou des chaînes.

L’étude a mis en évidence plusieurs facteurs ayant pu contribuer au décès, parmi lesquels le positionnement des nœuds à l’arrière du cou, la fixation des colliers et ceintures de bondage en position postérieure ou antéro-latérale, la défaillance de systèmes de poulie ou de dispositifs d’échappement, ou encore une combinaison de ces éléments.

Le décès est survenu au domicile dans 64 cas (89 %). Bien que des cas aient été recensés dans toutes les pièces, la plupart se sont produits dans la chambre ou la salle de bain.

La présence d’accessoires sexuels et de traces de masturbation a été fréquemment signalée lors des investigations menées sur les lieux (respectivement dans 76 % et 70 % des cas).

Fréquente consommation de drogues et d’alcool

La consommation dedrogues ou d’alcool, ou des deux, était fréquente. Au moment de leur décès, 36 % des personnes étaient sous l’effet de substances illicites et 23 % sous l’effet de l’alcool.

En altérant les capacités cognitives et motrices, la consommation de drogues et d’alcool accroît considérablement le risque de décès lors des pratiques sexuelles auto-érotiques, la personne ayant alors le plus grand mal à desserrer les liens. Il en résulte une incapacité à défaire la pression exercée sur le cou avant de perdre connaissance. De même, les personnes qui utilisent des ceintures ou des colliers peuvent ne pas réussir à déverrouiller à temps le mécanisme. La situation peut également être compliquée lorsque les nœuds sont placés à l’arrière du cou.

Des dispositifs de « sécurité » peu fiables

Cette étude souligne que les dispositifs dits de sécurité étaient souvent rudimentaires et peu fiables, reposant sur des actions volontaires plutôt que sur de véritables mécanismes de secours. Les participants ont probablement sous-estimé le risque de perdre connaissance et la possibilité que des partenaires puissent intervenir à temps pour les libérer. Dans certains cas, la sécurité reposait sur l’intervention d’un partenaire chargé de les surveiller et de vérifier leur état après un délai moyen de 10 à 15 minutes. Or, d’après les données disponibles, ce laps de temps est bien trop long. Il traduit une méconnaissance des dangers réels, tant de la part des pratiquants que de leurs partenaires « observateurs ».

« La plupart des personnes décédées avaient moins de 50 ans, mais on compte cependant des octogénaires, ce qui renforce l’idée que la mort associée au plaisir sexuel peut survenir à tout âge », soulignent Scotia Mullin et ses collègues de l’université de Melbourne, qui précisent qu’un quart des victimes étaient sans emploi.

« Il n’est pas surprenant pour le médecin légiste que la pratique de la strangulation autoérotique soit dangereuse. Il serait cependant naïf de penser que cette connaissance est partagée par le grand public ou que la perception du risque suffise à dissuader cette activité. Nous estimons que notre étude, ainsi que d’autres recherches menées dans le monde, peuvent contribuer à l’éducation à une sexualité plus sûre et au bien-être sexuel des individus choisissant de s’engager dans de telles pratiques. En tant que médecins légistes, nous avons le privilège rare d’apprendre des morts et de transmettre ces enseignements aux vivants, afin d’améliorer la santé publique et de réduire les décès évitables », concluent les médecins légistes australiens.

Choking sexuel

Bien que rares et documentés, les décès par strangulation autoérotique ne doivent pas masquer une pratique beaucoup plus répandue : le choking, étranglement volontaire entre partenaires sexuels.

Une enquête nationale australienne menée en ligne auprès de 1 528 jeunes adultes (18-35 ans) révèle l’ampleur du phénomène : plus de la moitié des participants l’ont expérimentée : 57 % en tant que personnes étranglées, 51 % en tant que personnes ayant étranglé leur partenaire, et 44 % dans les deux situations.

Publiée en février 2025 dans les Archives of Sexual Behavior, l’étude d’Isabella Conte et ses collègues de l’université de Melbourne souligne que beaucoup ignorent les risques, tandis que d’autres déplorent un manque criant d’information sur cette pratique.

La banalisation du choking sexuel est largement portée par la pornographie et les réseaux sociaux, en particulier TikTok, Instagram et Facebook, ainsi sur des vidéos sur YouTube. Cette pratique y est présentée comme une composante normale de la sexualité, les risques étant minimisés, voire occultés.

Les conséquences néfastes de la strangulation sont bien documentées. Leur nature et leur gravité dépendent de la méthode, de l’intensité et de la fréquence. Elles vont de troubles légers et transitoires (ecchymoses, difficultés à avaler, maux de tête) à des altérations de la conscience (étourdissements, vision trouble, perte de connaissance).

L’étouffement/la strangulation sexuelle est par ailleurs la principale cause de décès dans les jeux BDSM consensuels, un ensemble de pratiques regroupant bondage, domination, soumission et parfois sadomasochisme.

La strangulation peut entraîner des lésions, même lorsqu’elle est consentie

Étant donné que la pression nécessaire pour provoquer la mort par étouffement ou strangulation est relativement faible, même une légère restriction du flux sanguin ou de la respiration peut avoir des conséquences négatives sur la santé d’une personne. La perte de conscience peut survenir très rapidement, en seulement 8 à 18 secondes.

Des études portant sur des femmes ayant subi un étouffement ou une strangulation lors de rapports sexuels, même sans perte de connaissance, ont montré, comparativement à des femmes n’ayant pas été exposées à de tels étouffements, des différences en termes de lésions cérébrales et de mémoire de travail. Lorsque l’étouffement ou la strangulation se répète, les lésions cérébrales et les effets négatifs associés sur la mémoire de travail s’accumulent.

Il faut savoir que la survenue d’une lésion n’est pas toujours immédiate et peut apparaître de manière retardée, 24 à 36 heures après une strangulation. Un œdème laryngé (gonflement de la muqueuse du larynx) peut ainsi se développer jusqu’à 36 heures après, entraînant, dans de rares cas, une obstruction tardive des voies respiratoires et un arrêt respiratoire mortel.

Compte tenu des risques associés au choking sexuel, les chercheurs australiens insistent sur la nécessité d’éduquer et d’informer les jeunes.

Pour en savoir plus :

Mullin SP, Hardiman R. Differentiating homicidal, suicidal, and autoerotic neck compression deaths. J Forensic Sci. 2025 Jul 25. doi : 10.1111/1556-4029.70140

Pelletti G, Galante N, Franceschetti L, et al. Forensic issues in autoerotic deaths : A 44- year systematic review and a case series from the legal medicine institutes of Bologna and Milan, Italy. Int J Legal Med. 2025 Mar ;139(2) :779-794. doi : 10.1007/s00414-024-03367-0

Sharman LS, Fitzgerald R, Douglas H. Prevalence of Sexual Strangulation/Choking Among Australian 18-35 Year-Olds. Arch Sex Behav. 2025 Feb ;54(2) :465-480. doi : 10.1007/s10508-024-02937-y

Mullin SP, Sloan AJ, Hardiman R. A retrospective review of the circumstances and characteristics of 72 adult autoerotic neck compression deaths in Australia, between 2000 and 2022. Forensic Sci Int. 2025 Feb ;367 :112342. doi : 10.1016/j.forsciint.2024.112342

Conte I, Sharman LS, Douglas H. Choking/Strangulation During Sex : Understanding and Negotiating « Safety » Among 18-35 Year Old Australians. Arch Sex Behav. 2025 Feb ;54(2) :483-494. doi : 10.1007/s10508-025-03097-3

Herbenick D, Patterson C, Wright PJ, et al. Sexual Choking/Strangulation During Sex : A Review of the Literature. Curr Sex Health Rep. 2023 ;15:253–260. doi : 10.1007/s11930-023-00373-y

Huibregtse ME, Alexander IL, Klemsz LM, et al. Frequent and Recent Non-fatal Strangulation/Choking During Sex and Its Association With fMRI Activation During Working Memory Tasks. Front Behav Neurosci. 2022 Jun 2 ;16 :881678. doi : 10.3389/fnbeh.2022.881678

Lohner L, Sperhake JP, Püschel K, Schröder AS. Autoerotic Deaths in Hamburg, Germany : Autoerotic accident or death from internal cause in an autoerotic setting ? A retrospective study from 2004-2018. Forensic Sci Int. 2020 Aug ;313 :110340. doi : 10.1016/j.forsciint.2020.110340

Geisenberger D, Pollak S, Thierauf-Emberger A. Homicidal strangulation and subsequent hanging of the victim to simulate suicide : Delayed elucidation based on reassessment of the autopsy findings. Forensic Sci Int. 2019 May ;298 :419-423. doi : 10.1016/j.forsciint.2019.02.037

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Shields LB, Hunsaker DM, Hunsaker JC 3rd, et al. Atypical autoerotic death : part II. Am J Forensic Med Pathol. 2005 Mar ;26(1) :53-62. doi : 10.1097/01.paf.0000153995.07817.9f

Tournel G, Hubert N, Rougé C, et al. Complete autoerotic asphyxiation : suicide or accident ? Am J Forensic Med Pathol. 2001 Jun ;22(2) :180-3. doi : 10.1097/00000433-200106000-00014

Leth P, Vesterby A. Homicidal hanging masquerading as suicide. Forensic Sci Int. 1997 Feb 7 ;85(1) :65-71. doi : 10.1016/s0379-0738(96)02082-8

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