Le président de la République française, Emmanuel Macron, tape du marteau pour ouvrir la session au siège de l’Organisation des Nations unies, à New York, le 22 septembre 2025.

Lundi 22 septembre, à la tribune de l’Organisation des Nations unies (ONU), à New York, le président français, Emmanuel Macron, a déclaré qu’il reconnaissait l’Etat de Palestine, confirmant son engagement pris cet été, au nom de la France.

Soucieux d’esquisser un « chemin vers la paix », qui s’annonce semé de cahots, le chef de l’Etat entend sauver la « solution à deux solutions Etats » – celle-là même qu’Israël s’emploie à torpiller sur le terrain, à Gaza comme en Cisjordanie, où la colonisation s’accélère.

Quelles peuvent être les conséquences de cette reconnaissance diplomatique ? Celle-ci peut-elle avoir une incidence sur l’offensive militaire que mène l’Etat hébreu à Gaza ? Gilles Paris, éditorialiste et ancien correspondant du Monde à Jérusalem et à Washington, a répondu à vos questions, mardi 23 septembre, à l’occasion d’un tchat.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés A New York, avec la reconnaissance de la Palestine, Emmanuel Macron tente d’esquisser « un chemin vers la paix »

Pseudo : Reconnaître l’Etat de Palestine sans prendre de sanctions contre Israël, n’est-ce pas se donner bonne conscience à peu de frais ?

Je serais tenté de vous donner raison si la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France et par d’autres pays devenait un point d’arrivée et non un point de départ. Lorsque Emmanuel Macron a déclaré, lundi, dans son discours que la France, « avec ses partenaires européens, indexer[ait] le niveau de sa coopération » avec l’Etat hébreu sur « les dispositions qu’il prendra pour mettre fin à la guerre et négocier la paix », il a ouvert la voie à une remise en question de l’impunité dont Israël bénéficie depuis des décennies. Le mot de sanctions n’a pas été prononcé, mais il peut être lu en filigrane. Cette remise en cause constitue un impératif pour la crédibilité de ceux qui viennent de réaffirmer, s’ajoutant à une majorité écrasante des pays membres de l’ONU, l’importance de la solution à deux Etats.

Franco-palestinien : Concrètement, et au-delà du symbole, y aura-t-il des changements notables : création d’ambassade, coopération décentralisée renforcée, etc. ? Qu’en est-il des menaces israéliennes de fermeture du consulat de France à Jérusalem-Est ?

Emmanuel Macron a subordonné aux Nations unies l’ouverture d’une ambassade pour la Palestine à la libération des derniers otages israéliens retenus à Gaza. Les menaces de représailles israéliennes devraient se concrétiser après la visite du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, à Washington [lundi 29 septembre]. Elles peuvent cibler la France et ses emprises diplomatiques à Jérusalem, ce qui appellerait inévitablement des contre-mesures, ou bien se traduire par l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie. Des signataires des accords d’Abraham [de 2020] de normalisation avec l’Etat hébreu, comme les Emirats arabes unis et des pays européens, ont déjà fait savoir qu’il s’agirait d’une « ligne rouge ».

On peut donc assister au début d’un rapport de force inédit entre Israël et des pays qui ont jusqu’à présent détourné les yeux de sa politique d’annexion rampante de la Cisjordanie, ou qui se sont contentés de formules laconiques. Encore une fois, la crédibilité de ceux qui viennent de reconnaître l’Etat de Palestine va être mise à l’épreuve et cette mise à l’épreuve va également concerner des pays qui n’ont pas sauté le pas, comme l’Allemagne, la Corée du Sud ou le Japon, attachés à la solution à deux Etats. Pour les pays européens, l’accord d’association avec l’Israël, dont l’article 2 souligne l’importance du respect des droits humains, sera plus que jamais au cœur des discussions.

Senga : Avec cette reconnaissance de l’Etat palestinien, certes symbolique, mais proclamée lors de l’Assemblée générale de l’ONU, peut-on envisager l’envoi de casques bleus sur place ? Pourquoi, depuis bientôt deux ans, cela n’a-t-il d’ailleurs pas été fait ?

Le conflit israélo-palestinien est l’une des victimes collatérales de l’effondrement de l’ordre international, fondé sur des règles, mis en place par les Etats-Unis après 1945. Ce conflit a même été précurseur du fait du verrouillage du Conseil de sécurité par les veto américains concernant toute résolution condamnant Israël après l’adoption de celles qui restent le point d’équilibre de ce conflit (242 et 338) restées dans l’épure de la solution des deux Etats. Que Washington sabote ainsi ce qu’il avait mis en place n’est pas le moindre des paradoxes, alors qu’il a grandement bénéficié de cet ordre international.

L’envoi d’une force d’interposition onusienne à Gaza ne pourrait advenir qu’après un vote du Conseil de sécurité, sauf si l’Assemblée générale décidait de s’en saisir. Cela avait été fait en 1950 à propos de la guerre de Corée, en étendant les compétences de cette Assemblée générale en matière de maintien de la paix. Il s’agissait alors d’une initiative américaine pour contrer un veto russe.

Le Monde Mémorable

Testez votre culture générale avec la rédaction du « Monde »

Testez votre culture générale avec la rédaction du « Monde »

Découvrir

Newsletter

« A la une »

Chaque matin, parcourez l’essentiel de l’actualité du jour avec les derniers titres du « Monde »

S’inscrire

Le Monde Application

La Matinale du Monde

Chaque matin, retrouvez notre sélection de 20 articles à ne pas manquer

Télécharger l’application

Newsletter abonnés

« International »

L’essentiel de l’actualité internationale de la semaine

S’inscrire

La dégradation de l’ordre international a franchi un cap après le 7 octobre 2023, avec la mise en cause par Israël des agences de l’ONU, pourtant indispensables comme on le voit à Gaza avec le chaos engendré par leur contournement par la très mal nommée Gaza Humanitarian Foundation, instrument israélo-américain de contrôle des Gazaouis.

Lire le décryptage | Article réservé à nos abonnés La troublante opacité de la Gaza Humanitarian Foundation, une organisation israélo-américaine sous pavillon suisse

Arston : Puisque l’Etat palestinien existe, qui est juridiquement responsable de la libération des otages et d’organiser au minimum le départ de tous les groupes islamistes ? Quel est le statut des réfugiés puisque, ayant un Etat, ils ne sont plus réfugiés ?

L’Etat de Palestine a été reconnu, mais sa traduction concrète reste à négocier. D’une part, pour mettre fin à la phase en cours et, d’autre part, pour affronter le cœur du conflit. On se souvient que les accords d’Oslo, en 1993, avaient ouvert la voie à une phase intérimaire au cours de laquelle les questions centrales du conflit israélo-palestinien devaient être tranchées. Ces questions sont bien connues : sort des réfugiés de 1948 et de 1967, statut de Jérusalem, tracé des frontières…

Cette phase s’était achevée sur un échec, au sommet de Camp David, à l’été 2000, mais des ébauches de solution avaient été esquissées. Si l’Etat de Palestine apparaît impossible aujourd’hui, c’est principalement du fait de l’absence de volonté politique. De la part des deux protagonistes comme de la part de ceux qui peuvent peser sur leurs décisions. On pense évidemment à Washington, qui dispose d’un levier très important, mais aussi, à un moindre niveau, aux Européens. L’administration de Donald Trump, hélas, est la plus hostile de l’histoire des Etats-Unis aux revendications palestiniennes.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « Donnez-nous un Etat et laissez-nous en paix » : de Gaza à Ramallah, les réactions de colère ou désabusées des Palestiniens

Gigi : Pourquoi la Palestine n’a-t-elle pas été reconnue lors du plan de partage de 1948 ?

De mémoire, la Palestine n’avait pas été proclamée parce que la partie arabe, selon la terminologie de l’ONU, s’opposait à un plan jugé inéquitable et à l’idée même d’un Etat juif. Elle a été proclamée par Yasser Arafat, chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), lors du Conseil national palestinien d’Alger, en 1988, au cours duquel la résolution 242 a été adoptée, ce qui impliquait la reconnaissance d’Israël et un Etat palestinien à Gaza et en Cisjordanie, une concession majeure pour l’OLP, sortie de son maximalisme. La première vague de reconnaissances, principalement dans ce qui était alors le camp soviétique et non aligné, date de cette époque.

Cestmoi : Il serait bon de préciser qu’un Etat palestinien n’a jamais vu le jour, non pas à cause d’Israël, mais bien des Palestiniens eux-mêmes, qui ont refusé l’accord de partage. J’ai l’impression que beaucoup de monde l’a oublié…

Un diplomate israélien, Abbas Eban, est resté dans l’histoire en assurant que les Palestiniens ne perdaient jamais une occasion de perdre une occasion. Le problème est que la formule peut être retournée en direction des responsables israéliens qui, en refusant aujourd’hui la solution à deux Etats, engagent leur pays dans une spirale mortifère. Les possibilités autres que la solution des deux Etats sont le nettoyage ethnique à Gaza, l’enfermement des Palestiniens de Cisjordanie dans des bantoustans, au prix d’un statut de paria international, ou un Etat binational. Est-ce souhaitable pour les Israéliens ?

Sceptique : Cette reconnaissance n’intervient-elle pas trop tard ? Le point de non-retour n’a-t-il pas déjà été franchi ?

On peut effectivement estimer qu’il est trop tard si on se fie uniquement à la dynamique sur le terrain, au glissement à droite de la société israélienne qui s’est accentué avec les horreurs du 7-Octobre, au jusqu’au-boutisme de ce qui reste du Hamas et au sentiment d’abandon des Palestiniens, divisés et affaiblis comme jamais politiquement. Mais les autres possibilités susmentionnées sont-elles souhaitables pour les deux peuples ? On peut en douter. D’autant que beaucoup de choses ne sont pas immuables, à commencer par le soutien des Etats-Unis à Israël, présenté généralement comme inoxydable.

L’image d’Israël s’y est considérablement dégradée au cours des derniers mois, bien sûr parmi les électeurs démocrates et ceux qui sont enregistrés comme indépendants, mais également parmi les jeunes républicains. On entend d’ailleurs des voix discordantes à propos d’Israël dans les rangs des influenceurs MAGA [« Make America Great Again », « Rendre sa grandeur à l’Amérique »], par réflexe isolationnisme parfois teinté d’antisémitisme, comme c’est le cas avec l’animateur Tucker Carlson, qui s’est encore distingué à ce sujet après la mort de Charlie Kirk, après avoir sérieusement envisagé l’implication du Mossad israélien dans l’affaire pédocriminelle impliquant Jeffrey Epstein. On est loin d’un rééquilibrage américain, très loin même compte tenu du positionnement de Donald Trump, illustré par le projet scandaleux et immoral de « Riviera » à Gaza, mais il faut tout de même tenir compte de cette dynamique.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés L’hommage de l’Amérique trumpiste au « martyr » Charlie Kirk, moment de confusion entre politique et religion

Mansuétude : Trump n’a pas de grandes connaissances historiques ou géopolitiques. Son positionnement sur le conflit israélo-palestinien n’est-il pas plutôt un cadeau fait à certaines personnes de son entourage (un bonus) pour s’assurer de leur fidélité ?

Le positionnement de Donald Trump, qui va être fondamental pour la suite des événements, n’est pas le résultat d’un apprentissage historique ou géopolitique. On est très loin de Bill Clinton, qui connaissait dans les moindres détails le dossier au terme de son second mandat [de 1997 à 2001]. Donald Trump parlait indifféremment d’« un Etat » et de « deux Etats » lors de la première visite à la Maison Blanche de Benyamin Nétanyahou, après son arrivée dans le bureau Ovale, en 2017, ce qui faisait frémir d’effroi les spécialistes du conflit.

Son positionnement est au carrefour d’influences familiales, notamment de son gendre Jared Kushner, très lié à Israël, de son tropisme pour l’immobilier, qui lui fait voir le monde comme une série de projets de développement lucratifs (il avait mentionné le potentiel des plages nord-coréennes lors de ses rencontres infructueuses avec Kim Jong-un), et enfin de sa vision utilitariste du vote évangélique.

La droite religieuse américaine, pour des raisons eschatologiques vertigineuses, considère, en effet, qu’un Grand Israël précipitera le retour du Christ. On en est là… Une absence totale de convictions sur le sujet pourrait être un atout si d’autres acteurs qui parlent à une partie de ses obsessions, notamment dans le Golfe, se décidaient à établir un rapport de force, dans la perspective d’une stabilisation régionale qui bénéficierait à tous.

Le Monde

Réutiliser ce contenu
Partager
Exit mobile version