Après avoir atteint une altitude inédite, les déficits publics s’apprêtent à amorcer une entrée des plus brutales dans l’atmosphère. Il y a longtemps que l’état des finances de la France suit une très mauvaise pente. Mais plus que la tendance, c’est le rythme de la dégradation qui retient l’attention et réclame une correction de toute urgence, avant que le pays ne perde totalement le contrôle de ses arbitrages budgétaires. C’est tout l’enjeu de la séquence qui s’ouvre, mardi 1er octobre, avec le discours de politique générale du premier ministre, Michel Barnier, et, dans la foulée, un débat budgétaire qui s’annonce des plus houleux.
Le creusement du déficit et de son corollaire, la dette, est vertigineux. Celle-ci a grossi au deuxième trimestre au rythme de 820 millions d’euros par semaine, pour atteindre 112 % du produit intérieur brut (PIB), soit 1,5 point de plus en trois mois. Cette année, l’écart entre nos dépenses et nos recettes pourrait atteindre les 180 milliards d’euros, soit 6,2 % du PIB, selon les projections du ministère de l’économie. En 2025, la France envisage d’emprunter 300 milliards d’euros, presque deux fois plus que sous le quinquennat de François Hollande.
Pour qui douterait encore de la gravité de la situation, il suffit de regarder comment nos créanciers jugent notre capacité de remboursement. Désormais, la dette de la France est jugée plus risquée que celle de l’Espagne et pas beaucoup moins que celle de la Grèce. Une dissolution de l’Assemblée nationale déroutante, le constat d’une majorité introuvable, la parenthèse désenchantée des trois mois pour former un gouvernement et la nomination d’un premier ministre issu d’un groupe ultra-minoritaire ont gravement abîmé la crédibilité de la France.
L’équation a beau être prise par tous les bouts, il faut agir vite, fort, avec un sens des responsabilités qui, jusqu’ici, a cruellement manqué au débat politique. Le pouvoir sortant porte évidemment une lourde responsabilité. Les baisses d’impôt accordées depuis 2018 n’ont pas été compensées par un recul des dépenses.
Toboggan budgétaire
Quant aux oppositions, elles ne se sont guère préoccupées de ce toboggan budgétaire. Le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire en sont encore à réclamer davantage de dépenses, très partiellement financées par des hausses d’impôt, pendant que la droite tente de se racheter une vertu en donnant des leçons d’austérité, après avoir fait de la surenchère sur des boucliers énergétiques qui ont profité indistinctement à tous les contribuables.
Les partis sont désormais piégés par leurs promesses inconséquentes et leur propension à ménager à n’importe quel prix leur clientèle électorale. Dans un paysage politique balkanisé, chacun a perdu le sens de l’intérêt collectif en déconnectant la dépense publique des réalités économiques.
L’urgence va probablement conduire à concocter une potion amère à base de hausses d’impôt plus ou moins bien ciblées et de coupes budgétaires plus ou moins aveugles, qui alimenteront la frustration générale. Ce n’est pas ainsi que le pays peut espérer redresser ses comptes. Pour tenter de sortir par le haut de cette crise budgétaire, il faut que le premier ministre convoque sans délai une grande conférence transpartisane pour redéfinir nos priorités, évaluer l’efficacité des politiques publiques, renoncer à financer certains postes pour mieux investir dans d’autres, le tout avec davantage de sens de l’équité. Si nous ne sommes pas capables de remettre de l’ordre dans notre système social et fiscal menacé d’asphyxie, d’autres s’en chargeront pour nous.