Un tribunal de Cracovie a condamné le 14 février deux Russes pour leur campagne de recrutement pour Wagner.
Une opération directement pilotée depuis la Russie.
Les détails du procès permettent de comprendre les contours de la « guerre hybride » que mène Moscou à l’Europe.
Alors que l’été 2023 signait l’arrêt de mort pour Wagner en Russie, au même moment, la milice faisait sa première apparition en Europe. Cette année-là, dans les rues des villes, l’arrivée des touristes s’est accompagnée de la découverte d’autocollants très étonnants. Une tête de mort, celle du groupe Wagner, surplombée d’un message de recrutement. « Nous sommes-ici, rejoignez-nous », pouvaient lire les passants des zones les plus touristiques des grandes villes. Le tout, accompagné d’un QR code menant vers un site de recrutement de cette milice ultra-violente (nouvelle fenêtre). Une opération siglée Moscou.
Un an et demi plus tard, leurs auteurs, deux citoyens russes, ont été condamnés à cinq ans et demi de prison par un tribunal de Cracovie, en Pologne. Un procès historique, qui permet de dévoiler les activités très discrètes de la Russie sur notre continent.
Un « superviseur russe » au bout du fil
Ce procès, c’est le média indépendant Meduza (nouvelle fenêtre) qui s’en fait l’écho. Dans un article publié le 11 avril par une journaliste polonaise, on découvre non seulement le profil des suspects, mais aussi leur mode opératoire. Tout commence en août 2023. Dans le centre historique de Cracovie, ces autocollants blancs qui glorifient le groupe armé font leur apparition devant les yeux ébahis des touristes. Une affaire prise très au sérieux par les autorités de ce pays, voisin de l’Ukraine et résolument antirusse.
Dès le lendemain, Andreï G. et Alexeï T. sont arrêtés en flagrant délit. Une affaire qui pourrait paraitre anodine si elle ne s’inscrivait pas dans ce que le tribunal a décrit comme une « guerre hybride » (nouvelle fenêtre)menée par la Russie via des opérateurs privés.
Il faut dire que le mode opératoire laisse peu de doute sur l’instigateur de cette opération. D’après l’enquête polonaise, les deux hommes sont partis de Russie, ont transité par la Turquie, sont entrés dans l’Union européenne à Vienne avec un visa Schengen, puis ont rejoint Cracovie en voiture de location.
Une mission durant laquelle ils étaient « en contact permanent avec un superviseur » en Russie, d’après la juge du procès, Ewa Karp-Sieklucka. « Ce dernier exigeait de voir les résultats et, lorsqu’il était nécessaire de prendre de nouvelles dispositions, devait contacter le superviseur principal « , a-t-elle précisé au tribunal, selon ses propos traduits par Meduza. Des communications qui démontrent par ailleurs que cet acteur a demandé aux deux agents d’éviter les caméras de vidéosurveillance et les ressortissants ukrainiens (nouvelle fenêtre).
Car il faut le dire, ni Andreï ni Alexeï n’ont le profil de l’espion soviétique. Le premier, père de cinq enfants et à la tête d’une petite entreprise de couture dans la capitale russe, est en difficulté financière et criblé de dettes. Le second ne dispose que d’une seule source de revenus, à savoir des investissements à la Bourse de Moscou. Gravitant dans la sphère ultra-nationaliste russe, ils auraient été recrutés par un proche de l’oligarque russe Konstantin Malofeev (nouvelle fenêtre), contre une coquette somme. D’après le ministère polonais de l’Intérieur, les deux hommes devaient recevoir jusqu’à 500.000 roubles chacun, soit plus de 5.000 euros, pour coller ces petites affichettes lors d’un voyage tout frais payés.
L’analyse des téléphones des hommes a également révélé deux informations de taille. D’abord, les deux suspects ont suivi une formation militaire dans un complexe du nord de Moscou appartenant au ministère de la Défense civile russe. Ensuite, des photos ont prouvé qu’avant la Pologne, les deux hommes s’étaient rendus à Berlin et à Paris, où ils avaient apposé d’autres autocollants.
Ces actions s’inscrivent dans le cadre de la guerre hybride menée par les services de sécurité russes
Ces actions s’inscrivent dans le cadre de la guerre hybride menée par les services de sécurité russes
Ewa Karp-Sieklucka, juge lors du procès contre les deux agents russes
Lors du procès, les procureurs ont donc systématiquement démontré le réseau de connexions entre ces deux hommes, Wagner, la sphère ultranationaliste russe et d’autres agents étroitement liés aux services de renseignement du Kremlin. Au-delà de ce qui pourrait être considérés comme des crimes isolés, il s’agissait d’illustrer l’objectif plus large dans lesquels ils s’inscrivent : porter atteinte à la sécurité nationale par des moyens non traditionnels. Soit, le cœur de la guerre hybride que mène la Russie à l’Europe.
Devant la cour, la juge Ewa Karp-Sieklucka a été claire. Alors que la guerre fait rage en Ukraine, « ces actions visaient à semer le doute sur la capacité de notre pays à assurer sa sécurité », a-t-elle expliqué. « Elles visaient à nuire à la Pologne et s’inscrivent dans le cadre de la guerre hybride menée par les services de sécurité russes. » « L’objectif est toujours le même : discréditer, ridiculiser et affaiblir le potentiel social, politique et économique d’un autre pays », a confirmé le procureur, Tomasz Dudek, à Meduza.
Comme le souligne un récent rapport (nouvelle fenêtre) de l’Investigative Journalism Network, ces actions secrètes d’une nouvelle forme sont de plus en plus attribuées à des agents secrets « jetables ». Recrutés sur Telegram ou d’autres réseaux sociaux russes, il s’agit d’individus anonymes en quête d’argent, principalement issus des diasporas ukrainiennes et biélorusses russophones. Peu coûteux, peu risqués, mais très efficaces, leurs missions vont de la pose d’affiches, à la prise de photos d’infrastructures stratégiques en passant par des actes de vandalisme. Reste désormais à l’Europe de se doter de l’arsenal juridique pour sanctionner ces actions à la hauteur de leur enjeu. À l’instar de ce qu’a pu faire la Pologne. Andreï G. et Alexeï T ont tous les deux été reconnus coupables de terrorisme et d’espionnage.