Les grandes cérémonies républicaines sont conçues pour transmettre les valeurs liées à des événements glorieux ou douloureux, ou à des personnages dignes d’être inscrits dans la mémoire nationale. L’entrée au Panthéon, jeudi 9 octobre, de Robert Badinter, défenseur infatigable de la justice, de la dignité humaine, des libertés publiques et de l’Etat de droit, célèbre à point nommé des causes constitutives de l’idéal républicain depuis la Révolution française. Symboliquement, le cercueil de l’avocat pénaliste, ministre de la justice et président du Conseil constitutionnel mort en 2024, sera placé dans le caveau des révolutionnaires de 1789, où, depuis 1989, reposent Condorcet, l’abbé Grégoire et Gaspard Monge.

Hautement légitime, le choix du président de la République d’honorer l’homme qui, en 1981, a permis à la France de franchir un pas historique en obtenant le vote de l’abolition de la peine de mort, adresse un message puissant au moment même où les valeurs qu’incarnait Robert Badinter sont attaquées, en France comme dans le monde.

Fruit du hasard, la concomitance de cette cérémonie en l’honneur d’un homme dont la stature est liée à la constance et à la fermeté des convictions et du chaos politique dans lequel la France est plongée largement du fait de l’irresponsabilité et des stratégies individuelles de membres de ses élites ne peut que frapper les esprits.

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Que l’Etat n’ait, en dehors des corps constitués, qu’un président affaibli et des ministres démissionnaires pour le représenter en dit long sur le décalage entre les proclamations et la réalité, entre le désir d’Emmanuel Macron de s’inscrire dans l’histoire et la pente dangereuse sur laquelle, sous son autorité, glisse le pays.

Que des responsables politiques rendent hommage à l’ancien ministre de François Mitterrand alors qu’ils défendent, sur l’Etat de droit comme sur les prisons, sur l’exemplarité de la peine ou la Cour européenne des droits de l’homme, des politiques opposées aux convictions de l’homme qu’ils célèbrent reflète aussi la confusion ambiante. Que la cote électorale de l’extrême droite soit au zénith tandis que l’on panthéonise un opposant des plus farouches à la « lepénisation des esprits » assombrit le message présidentiel.

Haine de l’injustice

Fils d’immigrés ayant fui les pogroms en Russie pour la France des Lumières, Robert Badinter, dont le père a été assassiné au camp nazi de Sobibor, tirait de son histoire personnelle, y compris de son expérience d’avocat d’assises ayant dû assister, en 1972, à l’exécution de l’un de ses clients, sa haine de l’injustice, son attachement indéfectible à l’humanisme et à l’universalisme républicain. Icône de la gauche pour l’abolition de la peine capitale, il a aussi largement modernisé et humanisé la justice.

Lors des préparatifs de la cérémonie d’entrée au Panthéon de Robert Badinter, à Paris, le 5 octobre 2025.

La dépénalisation de l’homosexualité, la suppression de la Cour de sûreté de l’Etat font partie de son legs, tout comme l’aide aux victimes et leur indemnisation, les téléviseurs dans les cellules de prison ou la politique en faveur du personnel pénitentiaire. Contempteur implacable de l’idée d’exemplarité des peines et des lois conçues en réponse immédiate à l’émotion suscitée par des drames, Robert Badinter, longtemps haï à droite, est célébré par des politiques qui pratiquent ce qu’il combattait.

Au moment où l’histoire politique se délite et où le pays a besoin de clarté, son héritage n’a jamais été aussi précieux et menacé. Jamais sa défense cohérente n’a été aussi nécessaire.

Le Monde

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