« Jordan qui ? » Giampiero Tolardo, le maire de Nichelino, ouvre grand les yeux. Cette commune du Piémont, voisine des usines Fiat de la banlieue de Turin, est une ancienne cité-dortoir, poussée à toute allure dans les champs pour loger notamment les ouvriers du constructeur automobile entre les années 1950 et 1970. « On dit souvent de Nichelino qu’elle était “la ville de nulle part”, c’est encore son surnom », précise le maire, médecin dans le civil. Il ignore qu’elle risque de rentrer un jour dans la légende d’un certain Jordan Bardella…

« Bar-del-la ? » Membre du Parti démocrate (centre gauche), l’élu, cheveux mi-longs, veste à carreaux, ne connaît pas la tête de liste de l’extrême droite française, qui, à la veille des élections européennes du 9 juin, domine les sondages. Giampiero Tolardo attrape son téléphone et presse les services d’état civil de sa commune. Quelques minutes plus tard, un nom tombe : Severino Bertelli-Motta, né le 23 décembre 1934. Le grand-père maternel du jeune président du Rassemblement national (RN). Severino a épousé Iolanda Benedetto – un nom du coin. Le couple a vécu à Nichelino avant d’émigrer, en 1963, en banlieue parisienne avec deux enfants (deux autres naîtront en France) : Daniela, 2 ans et demi à l’époque, et Luisa, 1 an, la mère du leader du RN.

Aux origines de Jordan Bardella, il y a donc ce faubourg ouvrier de Turin où est née sa mère, le 5 avril 1962. Une filiation qu’il ne veut surtout pas gommer. Un adulte sur quatre en France compte aujourd’hui au moins un ascendant issu de l’immigration, et l’extrême droite elle-même ne craint plus d’évoquer des origines familiales étrangères : elle y voit une manière d’affirmer son patriotisme, et une partie de l’électorat s’y lit en miroir. « Je suis un petit Français au sang mêlé », disait Nicolas Sarkozy. « Venu d’ailleurs, devenu d’ici », répète le candidat du RN dans ses meetings, se présentant comme « à 75 % Italien ».

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Trois de ses quatre grands-parents sont nés dans ce pays souvent décrit comme un laboratoire politique européen : fascisme ou eurocommunisme, populisme cathodique (Berlusconi), populisme de gauche (Mouvement 5 étoiles), et désormais « melonisme », un national-conservatisme aux racines postfascistes, qui divise même les politistes. Le député européen Jordan Bardella, lui, se dit l’« ami » et l’« allié » de Matteo Salvini, le chef de la Ligue (ex-Ligue du Nord), un parti d’extrême droite naguère régionaliste, aujourd’hui identitaire, xénophobe et pourfendeur des normes de Bruxelles, où Ligue et RN siègent ensemble.

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