Livre. Le centenaire de la naissance et le cinquantenaire de la mort d’Albert Camus (1913-1960) furent commémorés dans une religieuse unanimité. L’air du temps a changé et, une décennie plus tard, voici que se profilent des « Camus Wars ». La première grenade remonte à 2023, avec la parution d’Oublier Camus (La Fabrique), de l’universitaire Olivier Gloag, essai à charge tentant d’étayer « l’attachement viscéral » du Prix Nobel de littérature 1957 au système colonial.

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Le bruit entourant le brûlot a depuis secoué les camusiens, qui organisent un colloque international, « Albert Camus et l’Algérie coloniale », les 18 et 19 mars, à Paris, où interviendront, notamment, le journaliste algérien Faris Lounis ainsi que l’écrivain et ancien haut fonctionnaire Christian Phéline, qui viennent de publier Retrouver Camus (Le Bord de l’eau, 168 pages, 15 euros).

Ce texte d’intervention paraît justement dans la récente collection « Camus XXI » d’Anne Prouteau, présidente de la Société des études camusiennes, qui coorganise le colloque dont le titre donne le programme. L’ouvrage, qui rassemble des textes déjà parus de Faris Lounis et Christian Phéline, entend réfuter les « abus intellectuels » d’Oublier Camus. La démonstration, pointue, reprend point par point les arguments de l’essai de M. Gloag pour les démolir. Ceux-ci sont avant tout d’ordre méthodologique, tenant à ses décontextualisations et anachronismes, ainsi qu’à sa grille de lecture « ethniciste » et à l’usage totalisant de la notion de colonialisme. Gloag utilise des citations malhonnêtement tronquées – comme une parole de Camus rapportée par son ami philosophe Jean Grenier (1898-1971), coupée à un endroit lui donnant un sens raciste, alors même que le propos intégral signifiait l’inverse.

« Ignorance civilisationnelle »

L’une des remises en contexte les plus intéressantes concerne la situation d’Albert Camus dans la production littéraire des années 1930. Le meurtre de l’Arabe dans L’Etranger (1942), pièce à charge dans le procès contre l’auteur, apparaît à cette aune « en rupture avec la figure outrancièrement péjorative, pittoresque ou paternaliste des “Arabes” » dans la littérature dite « algérianiste » de l’époque. Reste une « part d’impensé » colonial chez l’écrivain, que le dernier tiers de Retrouver Camus questionne avec un effort de précision et de rectitude qui fait sa valeur, cherchant à conjurer toute « naïveté hagiographique ».

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