La cantatrice Sabine Devieilhe et le pianiste Mathieu Pordoy, à l’Opéra Comique, à Paris, le 15 janvier 2024.

C’est un drôle de récital auquel nous a conviés, ce 24 avril, la soprano Sabine Devieilhe, qui se produisait Salle Gaveau, en compagnie du pianiste Mathieu Pordoy, dans le cadre de la série Les Grandes Voix et des productions Philippe Maillard. Il y a un mois, les deux artistes publiaient chez Erato un merveilleux album de lieder de Mozart et de Richard Strauss, dont l’on pouvait espérer retrouver la programmation. Mais seul le grand Wolfgang Amadeus sera de la partie, qui se révéla finalement assez congrue, voire frustrante, les deux artistes ayant choisi de promouvoir, en lien avec le projet « Momentum, Our Future, Now », créé par la cantatrice Barbara Hannigan, trois jeunes chanteurs à l’orée de leur carrière.

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Arrivée avec prestesse sur le plateau, la chanteuse s’est aussitôt lancée dans un étourdissant Vorrei spiegarvi, oh Dio !, air de concert K. 418 destiné par l’amoureux Mozart à Aloysia Weber. Pour Sabine Devieilhe, l’occasion rêvée de faire valoir l’amplitude de son art, maîtrise du souffle, de la ligne et des couleurs, au service d’une expressivité à la fois si fine et si tendue qu’elle laisse l’auditeur en apnée. La prise de risque est totale, jusque dans ses aigus impalpables, retenus au bord du silence, dont la subtilité donne le vertige. Le public écoute avec plaisir la chanteuse évoquer un premier récital d’il y a dix ans presque jour pour jour, où elle interprétait Rameau. Traqueuse, elle avait dû se résoudre à se déchausser afin de rester connectée. « Ce soir, j’ai mes chaussures », conclut-elle, malicieuse, soulevant le bas de sa longue jupe noire ornée d’une ceinture colorée.

Nuances crépusculaires

Axelle Saint-Cirel est mezzo. La jeune femme à la voix corsée est la première à ouvrir le bal des débutants, livrant, avec l’air de concert K. 582 Chi sa, chi sa, qual sia, la promesse future d’une artiste accomplie. Suivront le baryton Lysandre Châlon aux beaux graves profonds (An die Hoffnung) puis le ténor Lucas Pauchet bouffonnant quelque peu dans le ludique Die Kleine Spinnerin. La soirée pourrait prendre des allures de classe de chant de fin d’année si Devieilhe ne lui donnait, via le trio Se lontan, ben mio, tu sei chanté a cappella, des allures de salon d’amateurs, reprenant la main avec un Oiseaux, si tous les ans débarrassé de toute mièvrerie, puis, une fois passé un deuxième (et laborieux) passage de chacun des trois jeunes, un superbe Solfeggio n° 2, esquisse du fameux Et incarnatus est de la Messe en ut mineur K. 427.

La deuxième partie égrènera, selon le même principe, solos, duos et trios, dans le continuum d’un enchaînement peuplé de moments-clés, à l’instar de cet Abendempfindung K. 523, dont Sabine Devieilhe décline à l’infini les nuances crépusculaires avec un naturel et une évidence qui mettent les larmes aux yeux. Le célèbre Soave sia il vento, tiré de Cosi fan tutte, réunira, le temps des adieux baryton, mezzo et soprano. On le sait, rire et pleurs mêlés sont l’un des secrets de Mozart et le lied Nun, Liebes Weibchen, qui voit un mari s’inquiéter de l’amour de sa femme, laquelle lui répond en miaulant, aura tôt fait de ramener la bonne humeur, dévoilant à chaque « Miaou, miaou » un nouveau groupe de quatre chanteurs jusqu’alors disséminés dans la salle. L’excitation est à son comble alors que les huit acolytes attaquent l’ouverture des Noces de Figaro en version onomatopées dans l’arrangement des Swingle Singers.

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