Un voile tragique enveloppe le destin de Philippe Druillet. Fils de parents collabos pendant la seconde guerre mondiale, il a eu la douleur, à quarante-cinq ans d’écart, de perdre deux épouses, emportées par le cancer. Figure tutélaire de la BD de science-fiction, prince du baroque et du fantastique, cet admirateur de Gustave Doré (1832-1883) et de H. P. Lovecraft (1890-1937), âgé de 80 ans, évoque les personnalités croisées pendant sa carrière, de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) à Ariane Mnouchkine, de René Goscinny (1926-1977) à George Lucas, ainsi que les drames qui ont ponctué sa vie.

Je ne serais pas arrivé là si…

… Si, à l’adolescence, je n’avais pas cherché à sortir de mon milieu. J’avais 16 ans et un appétit inconscient de culture. Je vivais en région parisienne avec ma mère et ma grand-mère, de gourbis en taudis. Nous déménagions souvent, ma mère travaillait chez un distributeur agroalimentaire. J’ai commencé à fréquenter le Louvre et la Cinémathèque, où j’ai découvert un monde qui n’existait pas chez moi. Mon univers se limitait alors à Bobigny, Pantin, Drancy, Aubervilliers, Stains [Seine-Saint-Denis]… Pressentant qu’il n’y avait aucun avenir en banlieue, j’étais déterminé à survivre. Survivre, aussi, aux fantômes qui me hantaient. C’est à cet âge, en effet, que j’ai réalisé qu’on m’avait menti.

Vous faites allusion au passé collaborationniste de vos parents pendant la seconde guerre mondiale, dans le Gers…

Oui. Il y avait des soirées à thème à la Cinémathèque. Au cours de l’une d’elles, consacrée à l’Occupation, j’ai compris que [le maréchal Philippe] Pétain [1856-1951] n’avait pas été le sauveur de la France, comme mes parents me l’avaient toujours inculqué. Tous deux ont été condamnés à la peine de mort par contumace en juin 1945 [sa mère sera graciée après-guerre par les lois d’amnistie]. Après avoir participé à la guerre d’Espagne du côté des franquistes, mon père était devenu responsable de la Milice française à Auch. Ma mère y occupait une fonction administrative. Mon père a tué des gens et en a fait tuer. Il est mort en Catalogne quand j’avais 7 ans. Il avait écrit un livre, en 1942, intitulé Vous serez fusillé demain matin !, qui se terminait par ces mots : « Il n’y a que le maréchal qui peut sauver la France. » Ma famille du Gers habite toujours dans la maison de l’assassin. J’ai rompu avec elle.

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