« Quelle hystérie ! » Un homme exaspéré fait les cent pas dans le bureau du directeur de Sciences Po, au premier étage de l’hôtel de Mortemart, au 27 de la rue Saint-Guillaume, à Paris. L’incrédulité se lit derrière les lunettes rondes de Jean Bassères en cette fin avril. L’administrateur provisoire, qui a dirigé France Travail (ancien Pôle emploi) de 2011 à 2023, gère depuis un mois les affaires courantes jusqu’à la succession à la tête de l’établissement, prévue cet automne. Il n’imaginait pas mission d’intérim si ardue. La crise du printemps – avec ses manifestations pro-Palestine, l’appel aux forces de l’ordre et son torrent de critiques dans les médias – n’en finit pas de secouer l’école des élites. Et voilà que, ce 29 avril, Le Figaro titre « Sciences Po s’incline face à la pression islamo-­gauchiste », comme si la direction avait fermé les yeux sur les accusations d’antisémitisme… « Il faudra au prochain directeur de sacrées compétences de gestion de crise », soupire l’inspecteur général des finances de 64 ans, qui a déjà hâte d’en finir.

Grande première, au Journal officiel du 11 mai, la « capacité d’adaptation et de gestion de crise » apparaît dans la liste des qualités requises de l’appel aux candidatures. Faut-il s’en étonner, tant les tourments et les scandales paraissent coller à Sciences Po depuis douze ans ? Dans le couloir qui mène au bureau de Jean Bassères, perçu comme le saint des saints, la galerie de portraits des directeurs depuis la IIIe République rappelle la malédiction qui semble s’être abattue sur les derniers d’entre eux. Trois énarques, trois chutes.

On croise le regard adolescent de Richard Descoings, retrouvé mort d’une crise cardiaque à 53 ans dans un hôtel à New York, en 2012, après une nuit avec des escort boys. Il se trouvait alors en pleine tempête à la suite de l’enquête lancée par la Cour des comptes sur les primes somptuaires distribuées sous son règne. Accroché à sa droite, le sourire retenu de Frédéric Mion, parti en février 2021 pour avoir gardé le silence depuis 2018 sur les faits d’inceste et de viols sur mineur reconnus par Olivier Duhamel, le tempétueux professeur de droit constitutionnel à Sciences Po qui présidait Le Siècle, club de l’élite où dînent encore bon nombre de responsables et enseignants de la maison. Enfin, l’emplacement encore vide, réservé à Mathias Vicherat, n’a pas eu le temps d’être comblé : le dernier directeur a démissionné, le 13 mars, pris avec sa compagne dans des accusations réciproques de violences conjugales pour lesquelles il est renvoyé devant le tribunal correctionnel.

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