Le cas de scientifiques sud-africains bloqués dans leur base en Antarctique avec un collègue violent illustre les conditions extrêmes auxquelles sont confrontés les chercheurs envoyés pendant des mois sur ce continent reculé.
En France, de nombreux tests sont réalisés auprès des chercheurs prêts à s’y rendre.
La coordinatrice scientifique de ces missions nous explique.

Admirer la banquise, à perte de vue, pendant des mois entiers. Sur le papier, le quotidien des scientifiques basés en Antarctique peut faire rêver. La réalité des expéditions organisées sur ce large continent inhabité est parfois toute autre. Face aux conditions extrêmes, les professionnels envoyés dans un des sites reculés de la région doivent être prêts à gérer toute sorte de crise, y compris d’un point de vue médical. Pas le choix : un rapatriement hors d’Antarctique ne peut pas s’organiser en quelques heures. 

Ces derniers jours, un fait divers est venu illustrer les difficultés liées à cet isolement. Arrivés fin décembre au sein de la base Sanae-IV, plusieurs chercheurs sud-africains ont fait part du comportement « troublant » d’un de leurs collègues. Ce dernier aurait agressé physiquement un de ses camarades, mais aurait aussi proféré des menaces de mort. « Je reste profondément préoccupé par ma propre sécurité, me demandant constamment si je ne serais pas la prochaine victime« , s’est inquiété dans un courriel rendu public un des membres de l’équipe scientifique. 

Tests médicaux et questionnaires psychologiques

Si la situation dans la base semble désormais « sous contrôle« , l’épisode pose la question des conditions de sélection des chercheurs choisis pour participer à une mission en Antarctique. En France, l’Institut polaire Paul-Émile Victor (IPEV), qui siège à Brest (Finistère), est chargé de ce recrutement si particulier. Sur place, la base française Dumont-d’Urville, ainsi que la station franco-italienne Concordia, accueillent tous les ans au total quelques dizaines d' »hivernants ». Un qualificatif attribué aux scientifiques qui vont passer l’hiver austral en Antarctique, reclus en petit groupe durant cette période de l’année particulièrement inhospitalière.

Au moment de retenir les candidatures des scientifiques motivés pour cette expérience extrême, les équipes de l’IPEV mènent « toute une batterie de tests » pour vérifier leur état de santé complet, explique à TF1info Coline Marciau, coordinatrice scientifique pour les missions en Antarctique sur les bases Dumont-d’Urville et Concordia. Examen de la cage thoracique, scanner des dents, bilans ophtalmiques… L’enjeu est de s’assurer « qu’il n’y aura pas de problèmes particuliers » à ce niveau une fois les chercheurs arrivés en Antarctique. Certes, des médecins sont bien présents sur place en cas d’urgence, mais les conditions de prise en charge sont très limitées par rapport à celles connues en métropole.

Au-delà de cet aspect physique, d’importants contrôles sont également réalisés sur le plan mental. Durant un premier entretien, l’IPEV tente de « comprendre les motivations » des candidats au départ en Antarctique. « Il faut que ce soit des personnes qui aient bien compris dans quoi elles s’engagent« , souligne Coline Marciau. Après la première étape du processus franchie, les sélectionnés doivent répondre à des tests psychologiques. Des questionnaires leur sont soumis par un spécialiste pour vérifier leur aptitude à affronter « des conditions d’isolement assez extrêmes, sans possibilité de sortir durant l’hivernage”. Les températures négatives, qui descendent régulièrement sous les -50°C, ne permettent pas de s’aventurer dehors durant une bonne partie de l’hiver austral. 

“On organise une activité, un peu comme un team-building. Mais là, l’idée, c’est vraiment de voir comment ça se passe ensemble.”

Coline Marciau, coordinatrice scientifique pour les missions en Antarctique à l’IPEV

Pour préparer au mieux les scientifiques sélectionnés, des séminaires sont organisés avant le voyage afin de détailler plus précisément les contours de leur futur quotidien. L’ensemble des « co-hivernants » sont regroupés à cette occasion. Par petits groupes, des psychologues et des médecins les reçoivent alors pour faire un point sur ce qui les attend une fois en Antarctique. Des « mises en situation » peuvent avoir lieu pour se rapprocher au plus proche de la réalité du terrain. 

Pour les scientifiques rejoignant la base Concordia, située à l’intérieur du continent et non près de l’océan comme la plupart des sites de recherche, les conditions de vie sont encore plus violentes. Sous ces latitudes, la nuit polaire perdure totalement entre mai et août. Aucune lumière naturelle ne filtre durant cette période de l’année. Avant le départ de chaque mission pour cette base, « on regroupe toute l’équipe hivernante« , indique Coline Marciau. « On organise une activité, un peu comme un team-building. Mais là, l’idée, c’est vraiment de voir comment ça se passe ensemble. » Des médecins et des psychologues assistent à l’atelier.

Isolement et conflit entre collègues

Vivre de longs mois isolé de ses proches constitue par ailleurs une expérience compliquée. Grâce aux évolutions technologiques des dernières décennies, les scientifiques peuvent plus facilement communiquer par mail ou par téléphone avec leur famille, voire par visioconférence via WhatsApp. Mais l’éloignement reste parfois difficile à vivre, d’autant plus dans un environnement aussi âpre que celui de l’Antarctique. « Si vous perdez un proche alors que vous êtes dans la base, le fait de ne pas pouvoir rentrer en métropole peut être difficile à vivre« , pointe par exemple Coline Marciau.

De potentiels « conflits avec les co-hivernants » peuvent aussi être source de difficultés émotionnelles, poursuit la spécialiste. La vie au sein d’une communauté réduite en Antarctique demande en effet des qualités humaines assez spécifiques, détaillées dans une étude de l’université de Canterbury (Nouvelle-Zélande), publiée en 2017. “L’ouverture à de nouvelles expériences, de bonnes capacités d’adaptation dans des situations mentalement et émotionnellement éprouvantes et une grande tolérance à la monotonie sont des facteurs essentiels” pour bien vivre ce genre de mission, écrivent les auteurs. 

Le manque de lumière, voire les difficultés de sommeil lié au manque d’oxygène en altitude, sont d’autres paramètres également susceptibles d’affecter le psychisme de ces scientifiques. Pour les aider, l’IPEV met à disposition deux psychologues, basés sur l’île de la Réunion, pouvant être contactés pour un appel téléphonique. Au-delà de la mission en elle-même, l’accompagnement psychologique peut se poursuivre les semaines suivant le retour des chercheurs. « Ce n’est pas forcément simple de rentrer après un an en Antarctique« , justifie Coline Marciau. Pour mieux gérer cette reprise brutale de la vie réelle, les spécialistes se rendent aussi disponibles durant cette période.


Theodore AZOUZE

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