
Après un entretien en tête à tête d’environ quarante-cinq minutes, François Bayrou et son successeur au poste de premier ministre, Sébastien Lecornu, ont pris la parole tour à tour depuis la cour de l’hôtel de Matignon, mercredi 10 septembre, lors de la cérémonie de passation des pouvoirs.
François Bayrou :
J’ai accueilli Sébastien Lecornu dans ses fonctions de premier ministre. Je lui ai souhaité la bienvenue et à ce moment, il y a trois mots qui me viennent. Outre les mots de remerciements que j’adresse à l’équipe formidable que nous avons formée ensemble et avec qui nous avons très bien travaillé. Comme vous le savez, plusieurs projets déterminants sont prêts, que vous aurez à revoir. Le premier mot, je vous l’ai dit, c’est aider. Le verbe aider.
Je ferai, et je suis sûr, toute l’équipe qui m’entoure fera avec moi, tout ce que nous pouvons pour aider le gouvernement. D’abord parce qu’on a une petite expérience des choses qui sont moins faciles qu’on ne croit, et des enjeux, des difficultés. Mais aussi parce que le moment pour la France est un moment très important et très exigeant, très dangereux. Et donc mon aide et notre aide vous sont acquises à tout instant, pendant les semaines, les mois qui viendront.
Deuxième verbe : rassembler. Je ne crois pas une seconde que notre pays va rester éternellement dans les divisions, les injures, la violence. Tout ce qui s’est exprimé ces temps-ci et qui est en réalité un handicap profond pour son avenir.
Le troisième verbe, c’est inventer. Je ne crois pas qu’on va rester dans la division et je ne crois pas non plus que nous allons demeurer un pays dans lequel élus ou forces politiques vont continuer à prétendre que le réel n’existe pas, vont continuer à prétendre que non, on ne veut pas voir, on refuse de voir et que c’est à partir de là qu’on bâtit l’avenir. Je crois exactement le contraire. Je pense que nous devons inventer le monde nouveau qui s’impose, qui va s’imposer, mais le faire à partir de la réalité. Et je suis persuadé qu’il y a des millions de Français qui ont envie de participer à cette reconstruction réaliste.
Je crois profondément à l’idéal en politique. Je ne pense pas qu’on puisse vivre un engagement politique sans idéal. Mais Jaurès a dit ça beaucoup mieux que moi, autrefois : « [Pour] aller vers l’idéal, il faut partir du réel ». Et c’est ce réel-là qui a été, je crois, pendant longtemps dissimulé et que les Français, je n’ai aucun doute, vont reprendre en main. Je suis persuadé que, au fond, c’est ça le moment qui s’ouvre. Aider, rassembler, inventer. Et on fera ça, M. le premier ministre, avec vous.
Sébastien Lecornu :
Merci beaucoup, M. le premier ministre.
M. le premier ministre, Mesdames, messieurs les ministres, Mesdames, Messieurs, je ne vais pas faire de grand discours, puisque cette instabilité et la crise politique et parlementaire que nous connaissons commandent à l’humilité, à la sobriété.
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Je remercie évidemment le président de la République pour sa confiance, mais je veux surtout vous remercier pour cette aide que vous me proposez et que je ne refuse pas – et pour cause. Surtout, je veux saluer l’extraordinaire courage avec lequel vous avez défendu vos intimes convictions de militant et de citoyen jusqu’à cette dernière minute à Matignon et je crois, moi aussi, en une forme de justice qui fait qu’un jour tout cela sera reconnu et je le dis comme étant aussi votre cadet, M. le premier ministre.
La deuxième des choses, c’est dire aux Françaises et aux Français qu’on va y arriver. Parce qu’au fond, vous venez de le dire, il n’y a pas de chemin impossible. Il faut qu’on arrive à mettre fin au fond à ce double décalage : le décalage entre la situation politique et le décalage avec ce qu’attendent légitimement nos concitoyennes, nos concitoyens pour leur vie quotidienne, pour la situation économique et sociale, leur sécurité, bref, ce pour quoi évidemment nous sommes missionnés. Ce décalage entre la vie politique du pays et la vie réelle devient préoccupant et pas que pour celles et ceux qui gouvernent mais pour l’ensemble de la classe politique dans son intégralité.
Et puis, comme ministre des armées sortant, ce décalage entre la vie politique intérieure et la géopolitique globale, on l’a encore vu ces dernières heures, on ne pourra pas continuer ce décalage éternellement parce qu’évidemment il nous rattrapera. Alors pour cela, il va falloir aussi changer, être sûrement plus créatif, parfois plus technique, plus sérieux, dans la manière de travailler avec nos oppositions. J’aurai l’occasion d’y revenir.
On vient d’en parler très longuement tous les deux, mais je le dis aussi, il va falloir des ruptures, et pas que sur la forme, et pas que dans la méthode. Des ruptures aussi sur le fond. Pas un grand discours, mais dès cet après-midi je vais recevoir les premières forces politiques et syndicales dans les tout prochains jours. J’aurai l’occasion de m’exprimer prochainement devant les Françaises et les Français. Monsieur le premier ministre, cher François, merci.