Sébastien Lecornu se vivait comme le premier ministre « le plus faible de la Ve République ». Il restera également dans l’histoire comme le plus éphémère. L’ancien ministre des armées a remis, lundi 6 octobre, sa démission à Emmanuel Macron après seulement 27 jours à Matignon, et moins de vingt-quatre heures après avoir annoncé la composition de son gouvernement.
Sébastien Lecornu était menacé de censure dès cette semaine par les oppositions de gauche et d’extrême droite, peu convaincues par la physionomie de son équipe gouvernementale, largement inspirée du gouvernement sortant de François Bayrou et par son manque de concessions sur le projet de budget. Mais les attaques les plus vives sont venues du « socle commun », l’alliance de la droite et du centre censée le soutenir : Gabriel Attal, le patron du parti Renaissance, a dénoncé un « spectacle affligeant », tandis que le patron des Républicains (LR) Bruno Retailleau, pourtant reconduit à son poste de ministre de l’intérieur, critiquait une composition gouvernementale qui « ne reflète pas la rupture promise ».
Avec un bail de moins d’un mois à Matignon, Sébastien Lecornu bat largement le « record » de Michel Barnier (LR), qui était resté au pouvoir un peu moins de trois mois à la fin de l’année 2024. Il apparaît bien loin de Georges Pompidou, resté finalement premier ministre pendant plus de six ans : nommé en avril 1962, le gaulliste avait été renversé par une motion de censure dès l’automne suivant. Il avait géré les affaires courantes le temps de convoquer de nouvelles législatives, à l’issue desquelles il a été de nouveau nommé premier ministre jusqu’en 1968.
836 minutes en fonction
Sébastien Lecornu demeurera aussi le responsable politique dont le gouvernement aura eu l’existence la plus brève depuis au moins un siècle. La liste de ses ministres a été égrenée dans l’entrée de l’Elysée, dimanche 5 octobre, à 19 h 45. Lundi, à 9 h 41, la démission du premier ministre, et donc de son gouvernement, était officialisée par la présidence de la République. Durée du gouvernement Lecornu : 836 minutes.
Ce fiasco express en rappelle deux autres, bien plus anciens. Celui d’Alexandre Ribot, d’abord. Le 9 juin 1914, ce magistrat et conseiller d’Etat libéral et assez modéré constitue son nouveau gouvernement – on dit alors « cabinet » –, le troisième qu’il est amené à diriger sous la IIIᵉ République. Trois jours plus tard, ce gouvernement est renversé par la gauche, le jour même de sa présentation à l’Assemblée nationale. Il avait trop d’ennemis. L’affaire est cependant vite oubliée, dans le fracas de la première guerre mondiale, qui commence deux mois plus tard. Cet échec n’empêche pas Alexandre Ribot de devenir très vite ministre des finances, puis de retrouver la présidence du Conseil en mars 1917.
Deuxième précédent de gouvernement fugace, celui de Frédéric François-Marsal. Le 8 juin 1924, cet homme d’affaires et homme politique de la droite républicaine est nommé président du Conseil, donc chef de l’exécutif. Le lendemain, il forme son gouvernement, en s’attribuant à lui-même le portefeuille des finances. Un jour encore, et le voici renversé par la Chambre des députés.
Désignation contre-nature
Que s’est-il passé ? La désignation de Frédéric François-Marsal paraissait un peu contre-nature. En mai, l’alliance dite « du Cartel des gauches » avait en effet remporté les élections législatives de 1924. Or, durant la campagne, le président de la République, Alexandre Millerand, avait, à rebours des usages en cours, pris position pour la droite, alors menée par Raymond Poincaré. Il avait même tenu des propos menaçants. En cas d’échec de Raymond Poincaré, « le chef de l’Etat ne saurait appeler au pouvoir qu’un cabinet résolu à continuer la politique suivie jusque-là », avait-il averti. Ajoutant : « Au cas où le pays se montrerait hostile à la continuation de cette politique, le président en tirerait immédiatement les conséquences qu’il jugerait opportunes… »
Après sa victoire aux législatives, la gauche victorieuse n’entend pas en rester là. Elle veut punir Alexandre Millerand d’être ainsi sorti de son devoir de réserve, et le contraindre à la démission. Le président de la République choisit, lui aussi, l’épreuve de force. Il charge son ami Frédéric François-Marsal de constituer un gouvernement minoritaire, et d’adresser aux députés un message très ferme. « S’il était entendu désormais que l’arbitraire d’une majorité peut obliger le président de la République à se retirer pour des motifs politiques, le président de la République ne serait plus qu’un jouet aux mains des partis », affirme ainsi le nouveau président du Conseil, le 10 juin.
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Le résultat du duel entre Millerand et la Chambre est sans appel. Par 327 voix contre 217, les députés votent la motion défendue par Edouard Herriot, un des chefs du Cartel des gauches, et rejettent le « débat inconstitutionnel » auquel ils sont invités. C’est la fin d’un gouvernement François-Marsal mort-né. Le 11 juin, surtout, le président Millerand, la véritable cible de la gauche, présente à son tour sa démission.