Quatre mois avant le début de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine [en février 2022], j’ai été convié à un dîner au palais de l’Elysée. Nous étions sept invités à l’occasion de la future présidence française du Conseil de l’Union européenne (UE). Emmanuel Macron voulait entendre ce que nous avions à dire sur l’Europe. Où en étions-nous ? Quelle était notre identité ? Il a d’abord donné la parole au philosophe allemand Peter Sloterdijk, le plus âgé d’entre nous. Sloterdijk est resté silencieux pendant un moment. Puis il a déclaré lentement : « L’Europe se compose de grands pays et de petits pays. »

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D’accord, me suis-je dit, moi aussi, je peux apporter ma pierre à l’édifice. J’avais réfléchi à la manière dont je pouvais contribuer lors de cette rencontre, qui réunissait également Minouche Shafik, à l’époque directrice de la London School of Economics and Political Science, et le politologue bulgare Ivan Krastev. Grands pays et petits pays, cela n’a pas l’air fondamental, mais Peter Sloterdijk n’est pas philosophe pour rien. Dire l’évidence, c’était bien sûr sa façon d’aborder ce qui ne l’était pas tant que ça.

« Les grands pays sont d’anciens empires, tandis que les petits pays sont d’anciens Etats vassaux d’empires », a-t-il poursuivi. Selon lui, la spécificité de la coopération européenne après la seconde guerre mondiale réside dans le fait que les grandes et les petites nations ont réussi à travailler ensemble dans un esprit de confiance et de respect mutuels. Il faut surmonter la méfiance, la peur et la douleur historique si l’on appartient aux petites nations. Et saisir les avantages de la coopération, du compromis et de la solidarité si l’on est une grande nation.

« Qui veut mourir pour le contrat social ? »

Pour un Danois, il est ironique de se considérer comme un petit pays. Nous oublions toujours le Groenland, et nous ne parvenons pas à concilier notre sentiment d’identité avec notre passé d’ancienne puissance coloniale. Ce refoulement et notre manque d’intérêt expliquent en partie l’indignation des Groenlandais et leur désir d’indépendance.

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