Comme d’autres faits divers, ce qui s’est passé mardi 15 octobre dans le quartier de la Madeleine, à Paris, dit bien des choses sur l’état de notre société. Paul Varry, un cycliste de 27 ans, est mort en fin d’après-midi, écrasé par une voiture après une altercation avec le conducteur de ce véhicule.

Que la victime soit un militant associatif engagé pour l’usage du vélo, que l’auteur des faits, âgé de 52 ans, ait été au volant d’un SUV et que, selon le parquet, il ait « tourné ses roues en direction » du jeune homme « et repris une marche avant en sa direction », transforme un événement mortel, déjà rare en lui-même – sur 226 cyclistes morts dans des accidents en 2023, un a été tué à Paris –, en fait de société. Que le ministre des transports n’ait pas manifesté la moindre émotion après ce drame prend aussi un sens politique.

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En apparence, il s’agit d’une histoire très « parisienne », transformant en tragédie l’un des multiples différends avec les véhicules à moteur que vivent chaque jour les cyclistes, de plus en plus nombreux dans les grandes villes, mais aussi dans les campagnes depuis l’épidémie de Covid-19. D’où l’intensité de l’émoi suscité.

Ce serait pourtant une erreur de ne voir dans la mort de Paul Varry qu’une conséquence malheureuse des tensions que provoque la banalisation de l’usage de la bicyclette dans la capitale. D’une part, parce qu’il ne s’agit très probablement pas d’un accident, l’automobiliste a été mis en examen pour « meurtre ». D’autre part, parce que la majorité des accidents fatals aux cyclistes ont lieu sur des routes rurales où se produisent, par ailleurs, des altercations entre cyclistes et automobilistes au comportement dangereux, comparables à celle de mardi à Paris.

Agressivité automobile

Certes, le drame tend à illustrer les difficultés de la cohabitation des mobilités dans une société marquée par la montée de l’individualisme et des incivilités. Il s’inscrit dans un contexte positif de réduction drastique de la place des voitures qui suppose des modifications de comportement de tous les usagers. Tandis que l’idéal de la « mobilité douce » se heurte aux comportements souvent anarchiques des usagers du vélo, les clichés de virilité, de vitesse et d’efficacité véhiculés par la publicité automobile se cognent à la réalité urbaine. A chacun de gérer ses frustrations.

Or la road rage, la « colère au volant », où un agacement peut dégénérer en tragédie, phénomène identifié depuis longtemps par les Américains, reste ignoré en France, pays où 32 % des automobilistes admettent pourtant qu’il leur arrive de coller les véhicules dont les conducteurs les énervent. Il faut sortir du déni qui entoure l’agressivité automobile et de la tolérance envers la violence routière, rappeler que 84 % des présumés responsables d’accidents mortels sont des hommes. Les témoignages abondent de situations de mise en danger de la vie d’autrui, documentées par des vidéos mais négligées par la police.

Les réponses à ces dérives passent par la répression des infractions, mais aussi par l’information et l’éducation, déficientes aujourd’hui. Aux cyclistes d’apprendre les règles élémentaires de la circulation à vélo ; aux automobilistes d’intégrer le respect des usagers de bicyclette. Aux uns et aux autres de mettre en pratique l’élémentaire courtoisie due aux piétons. Chacun doit savoir, en prenant le volant, qu’un cycliste, qui pèse cent fois moins lourd qu’un SUV, n’a aucune chance face à lui. Paul Varry a été victime de la loi du plus fort. Elle ne saurait prévaloir.

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Le Monde

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