C’est dans l’avion qui le ramenait à Los Angeles, après le tournage de La Liste de Schindler, en Pologne, entre mars et mai 1993, que le cinéaste Steven Spielberg eut l’idée la plus folle et la plus ambitieuse de sa vie. Il venait de passer trois mois à Cracovie pour raconter l’histoire d’Oskar Schindler, cet industriel allemand membre du parti nazi qui, pendant la seconde guerre mondiale, réussit à sauver près de 1 300 juifs en les embauchant dans son usine d’émail et de munitions. Le tournage avait été intense, compliqué, éprouvant. Spielberg, qui avait attendu une dizaine d’années avant de faire ce film, intimidé par l’énormité du sujet et la connexion avec son histoire personnelle et sa judéité, avait conscience d’une immense responsabilité. Pour la première fois de sa carrière, il avait même été ému aux larmes en tournant certaines scènes, entraînant ses équipes et des milliers de figurants dans une vision très réaliste de l’enfer de la Shoah.
Pourtant, le plus bouleversant avait été ses rencontres avec des survivants, notamment des « juifs de Schindler », comme se nommaient eux-mêmes ceux qui avaient été sauvés in extremis en travaillant pour l’industriel. Les uns après les autres, ils étaient arrivés sur le tournage, intrigués, stupéfaits qu’un cinéaste ose aborder une histoire dont beaucoup d’entre eux n’avaient encore jamais parlé. Et, très vite, ils avaient exprimé leur désir de se confier à Spielberg. « Ecoutez-moi, disaient-ils, moi aussi j’ai une histoire, moi aussi ! »
Le réalisateur, concentré sur son film mais touché par cette confiance, écoutait, prenait des notes, captait çà et là quelques idées, qu’il intégrerait d’ailleurs dans le film. Bien sûr que toutes ces histoires étaient intéressantes et ô combien précieuses, répondait-il. Bien sûr qu’elles méritaient d’être entendues, conservées, transmises. Aucun rescapé ne devrait disparaître sans avoir partagé son expérience personnelle de la Shoah. Elle était en soi une alerte et un message aux générations suivantes. Et, au fond, chaque survivant devrait se muer en « professeur ».
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