En annonçant, jeudi 7 août, sa décision d’engager l’armée d’Israël dans l’occupation de l’intégralité de la bande de Gaza, Benyamin Nétanyahou a entraîné Israël dans un tournant aux conséquences incalculables et potentiellement tragiques. Non seulement pour le million d’habitants de la ville de Gaza qui seraient ainsi soumis à une évacuation forcée vers une destination inconnue dans un territoire déjà martyrisé, mais aussi pour les otages israéliens exposés de la pire des manières, et pour les soldats israéliens engagés dans une guérilla forcément attisée par l’occupation. Non seulement pour Israël, dont l’action injustifiable accentuerait l’isolement diplomatique, mais aussi pour les espoirs de règlement politique régional, déjà infimes, qui seraient réduits à néant. Car l’annonce du premier ministre israélien n’est pas destinée à faire pression sur le Hamas dans des négociations : il refuse cette issue depuis des mois, de peur de faire éclater son alliance gouvernementale.

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Il faut le dire avec force : la fuite en avant de M. Nétanyahou, imposée en dépit de l’opposition des responsables militaires, signifie l’occupation d’un territoire étranger et n’apparaît ni légale, ni légitime, ni cohérente. « Chasser le Hamas » pour assurer la sécurité d’Israël près de deux ans après l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, comme le prétend le premier ministre ? La montée en puissance, puis la mainmise de la milice islamiste sur Gaza résultant de la précédente occupation israélienne, on voit mal comment une nouvelle prise de contrôle du territoire par l’Etat hébreu pourrait l’en débarrasser.

Sur une position de l’armée israélienne, le long de la frontière entre la bande de Gaza et le sud d’Israël, le 29 juillet 2025.

Occuper la bande de Gaza sans vouloir la « garder » ni la « gouverner », afin de la « remettre aux forces arabes qui la gouverneront correctement » ? Mais, en réoccupant Gaza, Israël hériterait des responsabilités d’une puissance occupante que le pays se refuse précisément aujourd’hui à exercer dans les zones sous son contrôle, au prix d’une terrible catastrophe humanitaire. Quant aux « forces arabes » mentionnées par le premier ministre, elles n’existent que dans son imaginaire : quel pays arabe serait prêt à se jeter dans un pareil bourbier pour jouer les supplétifs d’Israël ?

Dissuader Nétanyahou

La pertinence stratégique de l’occupation est tout aussi problématique. Dans un pays – Israël – où l’armée constitue la matrice de l’Etat et où les grandes décisions sont traditionnellement prises conjointement par les militaires et les politiques, la décision de M. Nétanyahou de passer outre l’opposition formelle de la haute hiérarchie militaire, qui l’a mis en garde contre les lourdes conséquences d’une occupation, tant sur le sort des otages que sur la question des responsabilités, des pertes militaires et de l’épuisement des réservistes, marque une grave rupture.

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Alors que toutes les enquêtes d’opinion montrent que les Israéliens donnent la priorité à la libération des otages et refusent l’escalade militaire, les Etats, soucieux à la fois du sort des Palestiniens et de la défense d’Israël, doivent prendre toutes les mesures pour dissuader M. Nétanyahou de mettre à exécution son projet.

La France a « condamné fermement » le plan du gouvernement israélien pour Gaza, et l’Allemagne, traditionnellement très discrète, a annoncé la suspension de ses exportations d’armes qu’Israël pourrait utiliser à Gaza. Mais seules de véritables sanctions politiques coordonnées visant la coalition au pouvoir à Jérusalem pourraient entraver la marche vers l’abîme conduite par M. Nétanyahou.

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Le Monde

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