Evaëlle Dupuis avait onze ans lorsqu’elle s’est pendue aux barreaux de son lit, le 21 juin 2019.
La fillette aurait été harcelée dans son collège par des camarades de classe, mais aussi par sa professeure de français.
Une enseignante chevronnée qui a accepté de donner sa version de l’affaire aux équipes de « Sept à Huit » sur TF1.

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Le fléau du harcèlement scolaire

Le 21 juin 2019, Evaëlle, une collégienne de 11 ans, se donnait la mort par pendaison au domicile de ses parents à Herblay-sur-Seine, dans le Val-d’Oise, au terme d’une année de harcèlement qui l’a contrainte à changer d’établissement en cours d’année scolaire. Au cœur de ce dossier complexe, une professeure de français de 61 ans, accusée d’avoir contribué au mal-être de la fillette, en proie aux moqueries de ses camarades de classe.

Alors que son procès pour harcèlement sur mineur de moins de 15 ans devait s’ouvrir ce lundi 14 octobre devant le tribunal correctionnel de Pontoise, il sera renvoyé au mois de mars prochain pour des questions d’agenda. Ce dimanche, les parents de la victime et la professeure en question ont pris la parole dans « Sept à Huit » sur TF1.

Au départ, une banale histoire de matériel scolaire

Pour Marie et Sébastien Dupuis, tout débute à la rentrée avec des réflexions au sujet d’une banale histoire de matériel scolaire. Pour alléger son sac, ils ont acheté à leur fille un classeur plutôt que plusieurs cahiers. « Si tu ne reviens pas avec un cahier, je ne t’accepterai pas dans mon cours« , lui aurait dit l’enseignante, raconte sa mère. Une réflexion qui précède une série d’échanges lapidaires par cahier de correspondance interposé.

En octobre, le proviseur convoque l’ensemble des parents d’élèves de la classe de leur fille en raison d’un manque de discipline généralisé. « À la fin de la réunion, une maman demande si on peut parler du problème de harcèlement professeur/élèves« , se rappelle Marie. « Les copines d’Evaëlle se retournent et nous disent qu’elle prend cher en cours de français. Nous qui pensions l’affaire réglée, ce n’était pas du tout réglé. »

Si je ne fais pas de remarque, comment ça se passe ? En l’occurrence, je ne l’ai jamais mise en retenue. Je ne l’ai jamais punie

L’enseignante

Les parents demandent alors à rencontrer le proviseur et la professeure qui nie toute forme de harcèlement. « Dans mon positionnement de prof, c’est compliqué qu’un parent me dise qu’il ne faut pas faire de remarque« , explique-t-elle aux caméras de « Sept à Huit ». « Il ne peut savoir comment son enfant se comporte en cours (…) Si je ne fais pas de remarque, comment ça se passe ? En l’occurrence, je ne l’ai jamais mise en retenue. Je ne l’ai jamais punie. J’ai constaté qu’il y avait des difficultés avec ce classeur. Ce que je voulais, c’est la sortir de ses difficultés. »

Quelques semaines après cette confrontation, Evaëlle tente une première fois de mettre fin à ses jours en essayant d’incendier le domicile familial. Dans ses affaires, ses parents découvrent une lettre écrite par plusieurs camarades de classe qui lui expliquent ne plus vouloir être son amie avec des mots très durs. Marie demande alors à sa fille de dresser une liste des collégiens avec lesquels les relations sont conflictuelles, de manière physique ou verbale. Ils sont une quinzaine au total.

Des faits de harcèlement à répétition

Les parents alertent alors le proviseur qui met en place un protocole anti-harcèlement. Mais dans les faits, seuls Evaëlle est reçue par la CPE. En février, elle relate à ses parents plusieurs incidents. Un camarade l’aurait giflée et fait chuter au sol à l’arrêt de bus. Dans la cour, plusieurs élèves l’auraient poussée d’un banc.  Un soir, elle raconte à ses parents avoir vécu une scène d’humiliation. « Elle nous explique que la professeure de français a organisé une heure de vie de classe, avec comme sujet principal pourquoi Evaëlle se sent harcelée« , se souvient son père.

Le lendemain, les parents retirent Evaëlle du collège et portent plainte contre deux élèves et l’enseignante. Devant les policiers, cette dernière conteste avoir ciblé l’enfant et avoir voulu mettre fin à des querelles récurrentes entre Evaëlle et d’autres élèves. « J’entendais les noms d’oiseaux voler (….) Donc oui, j’ai tapé du poing sur la table. Ça suffisait ces histoires entre eux. En aucun cas c’était le procès d’Evaëlle. À l’issue du cours, ils se sont mutuellement demandés pardon et les choses avaient été dites. J’avais le sentiment que ce n’était pas si mal réussi finalement. »

Evaëlle s’est donnée la mort à l’âge de 11 ans – AFP

Evaëlle change d’établissement mais la procédure est ébruitée et suscite les moqueries de ses nouveaux camarades. Le 21 juin, dans l’après-midi, la fillette aurait eu une nouvelle altercation en classe. Le soir-même, elle se pend aux barreaux de son lit. Alors que le drame suscite une vive émotion auprès la population locale, l’enquête pour harcèlement est rouverte. Deux mois plus tard, tous les camarades d’Evaëlle son interrogés.

Deux d’entre eux racontent que la professeure de français avait mis en place une boite dans laquelle les élèves pouvaient mettre des mots pour dire ce qui ne va pas avec Evaëlle. « J’étais choquée, ça ne se fait pas », témoigne l’un d’entre eux. « La prof faisait ça pour apaiser les tensions« , tempère un autre. « Je ne me souviens pas qu’elle était plus méchante avec Evaëlle que les autres. Elle avait ses méthodes de travail.« 

Elle ne peut pas dire qu’elle n’a pas participé une minute à l’état mental de notre fille

La mère d’Evaëlle

Dans la foule, trois nouvelles plaintes sont déposées contre la professeure par d’autres parents. En mai 2023, elle est mise en examen pour harcèlement ayant conduit jusqu’au suicide. Son contrôle judiciaire lui interdit depuis d’enseigner. « J’aime mon métier, je l’ai toujours fait passionnément« , explique-t-elle. « Harceler, ça voudrait dire que j’avais la conscience d’avoir blessé quelqu’un, que je le faisais tout le temps, que je le préparais en mode prémédité en me disant le matin que j’allais harceler un tel ou un tel. Non !« .

Depuis, la qualification des faits a évolué. Dans l’ordonnance rendue par la juge en charge de l’affaire au printemps dernier, la qualification d’homicide involontaire fait l’objet d’un non-lieu. Si elle encourt jusqu’à trois ans de prison et 45.000 euros d’amende, cette enseignante aux états de service irréprochables — et soutenue par plusieurs de ses anciens collègues — ne sera pas tenue responsable de la mort d’Evaëlle par la justice. Une situation qui choque ses parents.

« Elle ne peut pas dire qu’elle n’a pas participé une minute à l’état mental de notre fille« , avance Marie. « Par son statut de professeure, elle a montré qu’on avait le droit de s’adresser à Evaëlle de cette manière-là. Et de la traiter de cette manière-là. Et les élèves ont continué sur les mêmes remarques que la professeure. Qu’elle puisse dire qu’elle n’est pas seule responsable, c’est difficile à admettre, mais on peut l’entendre. Mais elle a un rôle prépondérant dans ce passage à l’acte. »


Jérôme VERMELIN

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