Mahamat Idriss Déby Itno, lors d’un meeting de campagne, à Moundou (Tchad), le 25 avril 2024.

Une annonce précipitée, mais un résultat attendu. Jeudi 9 mai au soir, une dizaine de jours avant l’échéance des délais légaux et alors que la Cour constitutionnelle venait à peine de recevoir les copies des procès-verbaux émanant des bureaux de vote, l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE) du Tchad a proclamé la victoire au premier tour de la présidentielle de Mahamat Idriss Déby, avec 61,03 % des voix.

Le chef de la transition, porté au pouvoir par un groupe de généraux à la mort de son père, Idriss Déby, en avril 2021, devance largement Succès Masra (18,53 %), son principal opposant, devenu premier ministre à la faveur d’un accord politique. Arrivé en troisième position, l’ancien chef du gouvernement Albert Pahimi Padacké (16,91 %) s’est empressé de féliciter le vainqueur.

« Tout le monde sait que ces chiffres ont été fabriqués », a réagi, dépité, un cadre des Transformateurs, le parti de Succès Masra, qui qualifie ces résultats de « mascarade » et de « sorcellerie ». Peu avant la proclamation, le premier ministre, voyant le scrutin lui échapper, avait tenté de prendre de court l’instance électorale en s’autoproclamant vainqueur : « Nous avons gagné le 6 mai [date du premier tour] avec la vision d’un Tchad debout », a-t-il déclaré lors d’une adresse à la nation, diffusée en direct sur les réseaux sociaux.

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Tout au long de sa campagne, l’opposant avait appelé ses militants à contrôler les résultats sortis des urnes, en prenant en photo les procès-verbaux des dépouillements, instillant un climat de suspicion dans une campagne qui s’est révélée plus offensive qu’attendu. L’ANGE avait répliqué en faisant planer la menace de poursuites judiciaires en cas de troubles à l’ordre public. « Un petit nombre d’individus a décidé de s’opposer à la volonté du plus grand nombre », a dénoncé M. Masra, jeudi soir, avant d’accuser l’institution électorale de vouloir « inverser l’ordre des choses et l’ordre des chiffres ».

« Toute proclamation en dehors de l’ANGE est illégale », a réagi le ministre des infrastructures et cadre du parti au pouvoir, Aziz Mahamat Saleh. En peu de temps, un impressionnant dispositif militaire a été déployé pour quadriller N’Djamena.

Célébrations par des tirs en rafale

L’annonce des résultats a été suivie par des tirs d’arme automatique aux quatre coins de la ville. Dans le centre, des véhicules filaient à toute allure au son des klaxons et des youyous en signe de joie. Dans les quartiers sud de N’Djamena, réputés favorables à l’opposition, les célébrations par des tirs en rafale ont été vécues comme une intimidation. Joints par Le Monde plusieurs partisans de Succès Masra, terrés chez eux, disent leur « tristesse », leur « déception » et leur « inquiétude » pour les jours à venir.

Les militants de la Coalition pour un Tchad uni, dirigée par le Mouvement patriotique du salut, véritable rouleau compresseur électoral fondé par l’ancien président Idriss Déby et qui a soutenu la candidature de son fils, se sont rassemblés pour festoyer dans les locaux de leurs organisations respectives. « On a gagné au premier tour par K.-O.  ! La fête va continuer jusqu’au petit matin ! », s’enthousiasme Ali Ouardougou, écharpe jaune autour du cou. Au centre de la piste, un homme d’une cinquantaine d’années, fusil d’assaut dans une main, pistolet automatique dans l’autre, titube en tirant des coups de feu, tantôt en l’air, tantôt au sol. « Qu’est-ce que vous voulez, c’est comme ça qu’on fait la fête ! », dit amusé Abdel-Nasser Garboa, vice-président de l’organisation.

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« C’est un président jeune, il incarne le développement, le progrès et la stabilité. Regardez le chaos dans les pays voisins, alors qu’au Tchad il n’y a pas de terrorisme », dit Alatchi Diguédé Tchémi, tout sourire. La stabilité de ce pays de 17 millions d’habitants, parmi les plus pauvres du monde, a été l’argument phare, durant toute la campagne, de Mahamat Idriss Déby, cet officier de 40 ans qui estime avoir sauvé le Tchad du chaos, en prenant le pouvoir à la tête d’une junte, lorsque son père a été tué au cours de combats avec des rebelles, en avril 2021, après trois décennies d’un règne autoritaire soutenu par la France.

La junte avait alors promis de rendre le pouvoir aux civils, avant qu’un « dialogue national inclusif et souverain », tenu à l’automne 2022, ne prolonge de dix-huit mois la transition et autorise Mahamat Idriss Déby à briguer la magistrature suprême, provoquant une levée de boucliers dans la société civile. L’opposition dénonce une « succession dynastique » du pouvoir.

Tenter d’apaiser les esprits

Si le président de la transition est parvenu à faire taire – du moins provisoirement – la menace des groupes rebelles qui, durant des décennies, avaient tenté de renverser son père, ainsi qu’à réduire le poids politique de ses opposants en les nommant à des postes à responsabilité, ses trois premières années à la tête du pays ont été marquées par plusieurs épisodes de répression sanglante.

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Le 20 octobre 2022, entre soixante-treize et trois cents manifestants, selon les sources, réclamant la remise du pouvoir aux civils, ont été tués par les forces de l’ordre. Le 28 février 2024, l’opposant Yaya Dillo, également cousin du président de transition, est mort lors de l’assaut donné par l’armée contre le siège de son parti, en plein centre-ville de la capitale.

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Aujourd’hui, beaucoup craignent qu’une crise politique ne provoque un nouveau bain de sang. « Je suis désormais le président élu de tous les Tchadiens », a déclaré Mahamat Idriss Déby quelques heures après l’annonce de sa victoire, comme pour tenter d’apaiser les esprits. Mais les propos de Succès Masra, qui appelle ses partisans à se « mobiliser pacifiquement pour la vérité des urnes », ouvrent une période d’incertitude pour le Tchad.

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