Il y a quatre ans, Chahinez Daoud était brulée vivante en pleine rue sous les yeux d’un voisin impuissant.
Son ex-mari, Mounir Boutaa, comparaît à la fin du mois devant la cour d’assises de la Gironde.
« Sept à Huit » revient, avec des témoignages exclusifs, sur cette histoire devenue le symbole des dysfonctionnements dans les affaires de violences conjugales.

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Féminicide : une mère de famille brûlée vive à Mérignac

Quatre ans ont passé, mais chaque détail de la scène que Gérard a vécu ce 4 mai 2021 hante encore sa mémoire. « J’ai entendu des éclats de voix, c’était un homme et une femme, c’était très, très bref. Dans la foulée, j’ai entendu deux détonations. Donc j’ai déclenché le portail. Quand il a été ouvert à moitié, j’ai vu qu’il y avait une dame qui était allongée sur le dos, sur le trottoir, la tête dans le caniveau. Et puis qu’il y avait un gars qui lui déversait du produit dessus », raconte ce voisin, encore ému, dans la vidéo à retrouver en tête de cet article, replay d’un reportage diffusé ce week-end dans « Sept à Huit » (également disponible en streaming sur TF1+).

L’homme sort ensuite un briquet, Gérard se précipite, mais il est trop tard. « Il s’est baissé, il a allumé et quand il s’est relevé, de l’autre main, il m’a braqué avec un pistolet. La dame a hurlé quelques secondes parce qu’il y avait des flammes qui montaient. Je suis retourné en vitesse dans mon garage et j’ai lancé une première couverture, une deuxième. Mais il y avait tellement de produits que les couvertures ont pris feu. Donc là, je ne pouvais plus rien faire », poursuit-il, avant d’assurer que l’image de cette femme l’obsède toujours. « Vous l’avez à vos pieds. Vous êtes obligé de reculer tellement ça chauffe, tellement il y a de la chaleur. Mais vous ne pouvez pas oublier ça, ce n’est pas vrai », lâche-t-il, des sanglots dans la voix. 

Gérard vient d’assister, impuissant, à la mort à Mérignac (Gironde) de Chahinez Daoud, 31 ans. Son mari, Mounir Boutaa, a pris la fuite. En 2021, ce crime avait provoqué une onde de choc dans le pays. Il allait devenir le symbole des dysfonctionnements dans le traitement des violences conjugales. Djohar et Kamel Daoud, les parents de Chahinez, ont accepté de témoigner de leur colère face à la caméra de « Sept à Huit » : « Ce genre d’homme croit que les femmes sont des jouets. Il peut jouer avec et après la casser. Avec cet acte abominable, il a détruit une famille. Il a détruit des enfants. Il a détruit notre vie. Il a détruit la vie de ma fille. Il nous a trahis », pleure le père. 

Combien de fois, on a entendu : ‘t’as pas le droit. T’as pas le droit de faire ça, t’as pas le droit' ».

Daniel Ruggiero, un voisin de Chahinez

Retour sur la rencontre de Chahinez avec celui qui allait devenir son bourreau. C’était en 2016.  Les Daoud vivaient encore en Algérie avec leur fille quand celle-ci croise un Français d’origine algérienne venu pour les vacances, Mounir Boutaa, 40 ans. Employé de crèche dans son village, Chahinez a deux enfants et est fraîchement divorcée, mais le couple décide de se marier. « C’était comme un ange, il me baisait la tête. Moi, je croyais que c’était un ange. Il m’a dit : ‘ j’ai perdu mon père, mais Dieu m’a donné un autre père’. Mais quand il a ramené Chahinez en France, il est devenu une autre personne, il est devenu un monstre », constate Kamel Daoud. 

Chahinez et sa fille cadette s’installent avec Mounir dans la banlieue de Bordeaux, et la jeune femme tombe enceinte. Ils vivent dans une maison où elle se serait rapidement retrouvée cloîtrée. Anne et Daniel Ruggiero ont été leurs voisins pendant trois ans. À l’époque, Daniel avait senti que quelque chose clochait : « Quand lui, il parlait, Chahinez était toujours en retrait ou si on avait une question à poser, c’est lui qui répondait et pas Chahinez », dit-il. Sa femme se souvient, elle, de son comportement, de prime abord « très gentil ». « Il rendait service. Il était serviable », affirme-t-elle. Avant d’ajouter : « Mais dans le jardin, on entendait autre chose ». Daniel précise : « Combien de fois, on a entendu : ‘t’as pas le droit. T’as pas le droit de faire ça, t’as pas le droit’. Et nous, on avait des codes avec Chahinez. Quand on avait entendu du bruit la veille, j’allais derrière la maison, elle se mettait en haut, on parlait par signe et elle tentait de nous rassurer », avance-t-il.

Neuf mois de prison ferme pour avoir étranglé son épouse

Chahinez filme l’attitude de son mari lorsqu’il mélange médicaments et alcool : il se montrait alors de plus en plus irascible et violent. Jusqu’à un soir de juin 2020, où Lucas, le fils des voisins, voit Chahinez surgir devant lui sur le trottoir. « Je l’ai vu arriver, elle se tenait la gorge. Et puis, elle est tombée sur moi. J’avais peur qu’elle arrête de respirer parce que je sentais qu’au niveau respiration, c’était très faible. Il est sorti, une bière à la main en disant : ‘ je vais te niquer’, en m’insultant. Et puis, les flics sont arrivés, il leur a balancé des cailloux pour les faire partir. Et les flics ont dit : ‘tant qu’il ne sort pas, on ne peut rien faire' », se rappelle-t-il. 

Mounir Boutaa est interpellé le lendemain matin. Pour avoir sévèrement étranglé son épouse et parce qu’il a déjà été condamné pour des violences, il écope de 18 mois de prison, dont neuf mois ferme, assortis d’une interdiction de contact. Mounir Boutaa incarcéré, Chahinez se remet à vivre. « Elle sortait pour discuter avec nous. Il y avait un lien qui se faisait. Il y avait les enfants de ses copines. Elle faisait des fêtes. En fait, on a découvert une autre facette de Chahinez, qui avait un rire communicatif. Et puis, elle était toujours souriante. Elle était belle », souligne Anne Ruggiero. Mais le répit est de courte durée. Depuis la prison, Mounir Boutaa harcèle son épouse de messages et d’appels. Quand il sort au bout de trois mois, il viole ses obligations d’éloignement, rôde dans le quartier et réapparaît régulièrement au domicile. 

Elle se battait pour sa liberté.

Kamel Daoud, père de Chahinez

Le 15 mars 2021, Mounir intercepte sa femme devant un supermarché, la fait monter dans un fourgon, la frappe et l’étrangle à nouveau. Elle parvient à s’échapper, porte plainte une nouvelle fois, mais en vain, son mari continue de la harceler. Une semaine plus tard, elle dépose une demande de divorce. Son père admet qu’elle n’avait pas d’autre solution, « parce qu’elle est entre le marteau et l’enclume ». « Soit elle se sépare de lui ou elle acceptait la violence. Elle se battait pour sa liberté », atteste-t-il. L’enquête a établi que le 4 mai, jour de la mort de Chahinez, Mounir Boutaa est resté caché toute la journée dans son véhicule à 200 mètres du domicile. À 18 heures, lorsque Chahinez sort de chez elle pour aller chercher ses enfants à l’école, il surgit avec un fusil de chasse, lui tire une balle dans chaque jambe, puis l’immole. Il sera interpellé quelques minutes plus tard, alors qu’il déambulait dans le quartier avec son arme. 

« La faillite d’un système »

Dès le lendemain de la mort de Chahinez, Marlène Schiappa annonce une mission d’inspection des ministères de l’Intérieur et de la justice. Le rapport d’inspection va révéler une impressionnante succession de ratés. Côté police d’abord. Quand Chahinez porte plainte une deuxième fois en août 2020 pour le harcèlement téléphonique qu’elle subit de la part de son mari incarcéré, sa plainte n’est pas traitée immédiatement et Mounir Boutaa bénéficie d’une remise en liberté anticipée. Cinq mois plus tard, quand Chahinez dépose sa troisième plainte, cette fois pour l’agression devant le supermarché, rien ne se passe ou presque. L’enquête est attribuée à des policiers peu expérimentés qui localisent l’adresse et le lieu de travail du suspect, mais ne s’y rendent pas. Ils se contentent de diffuser une fiche de recherche aux unités sur le terrain. Dans les semaines qui suivent, Mounir Boutaa se présentera à deux rendez-vous au service qui assure son suivi probatoire. Il n’y sera jamais interpellé. Pire, il se rend de son propre chef au commissariat de Mérignac pour porter plainte contre son épouse. Un policier lui demande alors de quitter les lieux, sans relever son identité. 

Côté justice, le parquet, informé de la nouvelle plainte de Chahinez Daoud, n’ordonne aucune mesure de protection. Elle meurt un mois et demi plus tard. L’avocat de la famille de Chahinez, Julien Plouton, voit dans ce drame « la faillite d’un système ». « C’est une chaîne de manquement et une chaîne d’individus qui, à un moment donné, n’ont pas été à la hauteur de leurs responsabilités. Tous les voyants étaient au rouge. Quand on a des policiers qui sont formés et qui prennent le temps aussi d’écouter les plaignantes, c’est ce qui permet de cerner un profil d’une personne mise en cause et de faire le tri entre les personnes qui ont un profil particulièrement inquiétant. C’était le cas de Mounir Bouta (…) et dans ces cas-là, il faut être particulièrement réactif », dénonce-t-il. L’avocat a déposé une plainte contre l’État pour faire reconnaître sa responsabilité. 

À Bordeaux, il y a désormais un avant et un après Chahinez. La police a sanctionné sept fonctionnaires pour des négligences et créé une cellule d’enquête spécialisée dans les violences intrafamiliales. Tandis qu’au tribunal, les poursuites pour violences conjugales se seraient intensifiées. Jugé dans deux semaines devant la cour d’assises de la Gironde pour l’assassinat de Chahinez, Mounir Boutaa encourt la réclusion criminelle à perpétuité.


V. F | Reportage « Sept à Huit » : Laura DONA, Valentin JEHAIN et Lucas ROBIN

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