Chercheur en socioéconomie de l’alimentation au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), titulaire de la chaire Unesco Alimentations du monde, Nicolas Bricas est également membre du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food). Il fait partie des coordinateurs scientifiques de l’ouvrage Une écologie de l’alimentation, paru aux éditions Quae, en 2021.

Atteindre la souveraineté alimentaire est un enjeu crucial pour les pays du Sud. Comment définir cette notion ?

Ce concept a été promu par l’organisation paysanne La Via Campesina au milieu des années 1990, au moment de la libéralisation du commerce mondial. A l’époque, au nom de la théorie des avantages comparatifs, les taxations des importations et subventions aux exportations qui visaient à protéger les agricultures ont été supprimées. Le principe était de spécialiser les pays dans les productions agricoles pour lesquelles ils étaient les plus compétitifs. La sécurité alimentaire, définie alors comme l’accès pour tous à une nourriture suffisante et de qualité, est compatible avec cette libéralisation des échanges. Peu importe d’où vient la nourriture, par qui et comment elle est produite.

Le concept de souveraineté alimentaire porté par La Via Campesina, lui, s’oppose à ce principe. Il revendique le droit, pour un pays ou une communauté, de décider de l’organisation de son agriculture et de son alimentation, notamment pour éviter de dépendre de l’extérieur. C’est une notion plus politique que technique. Le terme est revenu à la mode lors de la guerre en Ukraine, qui a révélé la dépendance de certains pays vis-à-vis d’autres pour se nourrir.

Cette souveraineté concerne-t-elle aussi les intrants – les engrais, les semences, les carburants ?

Absolument. L’agriculture industrielle est très dépendante du pétrole mais aussi de pays comme la Russie, l’Ukraine ou le Maroc pour les engrais, ou encore des entreprises qui dominent le marché des semences, des pesticides, du machinisme ou des puces électroniques.

Comment cette question se pose-t-elle pour le Sud ?

Ces pays ont été poussés par les tenants de la libéralisation à se spécialiser dans les productions les plus compétitives, quitte à recourir à des importations pour se nourrir. Leurs politiques agricoles ont plus soutenu leurs cultures d’exportation que leurs cultures alimentaires. Le Maghreb est devenu très dépendant du blé tendre d’Ukraine, l’Afrique de l’Ouest du riz asiatique ou de la poudre de lait européenne.

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