Le rédacteur en chef du magazine, Tuncay Akgun, à Istanbul, en septembre 2018.

La publication d’un dessin de presse, représentant pour les autorités turques le prophète Mahomet, ont conduit à l’arrestation de son auteur, et à des échauffourées à Istanbul entre la police et une foule en colère cherchant à attaquer des employés du magazine mis en cause.

Le bureau du procureur général d’Istanbul a annoncé, lundi 30 juin, avoir « lancé une enquête sur la publication d’un dessin dans le numéro du 26 juin 2025 du magazine Leman qui dénigre ouvertement les valeurs religieuses, et des mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre des personnes impliquées ».

Le ministre de l’intérieur, Ali Yerlikaya, a annoncé de son côté que la police avait arrêté le dessinateur, en publiant sur X des images de son arrestation dans une cage d’escalier. Le rédacteur en chef du magazine et un graphiste ont également été interpellés, a-t-il précisé.

« La personne nommée D.P. qui a fait ce dessin ignoble a été attrapée et placée en détention », a-t-il écrit, ajoutant : « Ces individus sans vergogne devront répondre de leurs actes devant la justice. »

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La police a perquisitionné les locaux de Leman, sur l’avenue Istiklal d’Istanbul, et des mandats d’arrêt ont été émis contre plusieurs autres responsables de la publication, a écrit, sur X, le conseiller à la présidence Fahrettin Altin.

« Cela n’a rien à voir avec le prophète Mahomet »

En soirée, des manifestants en colère ont attaqué un bar souvent fréquenté par les employés de la revue, dans le centre d’Istanbul. Les échauffourées avec la police ont rapidement dégénéré en affrontements impliquant entre 250 et 300 personnes, selon un correspondant de l’Agence France-Presse (AFP). La police a tiré des balles en caoutchouc et utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule en colère

Une copie de l’image en noir et blanc publiée sur les réseaux sociaux montre deux personnages dans le ciel, au-dessus d’une ville sous les bombardements. « Salam aleykoum, je suis Mohammed », dit l’un en serrant la main de l’autre qui répond : « Aleykoum salam, je suis Musa [Moïse]. » Le rédacteur en chef du magazine, Tuncay Akgun, a assuré à l’AFP que l’image avait été mal interprétée.

« Ce dessin n’est en aucun cas une caricature du prophète Mahomet [Mohammed en arabe]. Dans cette œuvre, c’est le nom d’un musulman qui a été tué lors des bombardements d’Israël, il a été appelé Mohammed, c’est une fiction. Plus de 200 millions de personnes dans le monde islamique s’appellent Mohammed », a-t-il déclaré. « Cela n’a rien à voir avec le prophète Mahomet. Nous ne prendrions jamais un tel risque », a-t-il ajouté.

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Sur X, Leman a estimé qu’il avait été sciemment mal interprété. « Le dessinateur a voulu montrer la droiture du peuple musulman opprimé en représentant un musulman tué par Israël, il n’a jamais eu l’intention de rabaisser les valeurs religieuses », a-t-il déclaré.

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« Nous n’acceptons pas l’opprobre qui nous est imposé parce qu’il n’y a pas de représentation de notre Prophète. Il faut être très malveillant pour interpréter la caricature de cette manière, poursuit-il. Nous présentons nos excuses à nos lecteurs bien intentionnés qui, selon nous, ont été victimes de provocations. »

Un bastion satirique de l’opposition

« Le manque de respect envers nos croyances n’est jamais acceptable, a écrit de son côté, sur X, le ministre de la justice, Yilmaz Tunc. La caricature ou toute autre forme de représentation visuelle de notre Prophète porte non seulement atteinte à nos valeurs religieuses, mais aussi à la paix sociale. »

Le gouverneur d’Istanbul, Davut Gul, a également dénoncé « cette mentalité qui cherche à provoquer la société en s’attaquant à nos valeurs sacrées ». « Nous ne resterons pas silencieux face à tout acte ignoble visant la foi de notre nation », a-t-il averti.

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Selon Tuncay Akgun, l’offensive judiciaire contre le magazine, bastion satirique de l’opposition lancé en 1991, est « incroyablement choquante, mais pas très surprenante ». « C’est un acte d’annihilation », a-t-il dénoncé.

Créé en 1991, Leman est la cible des conservateurs de longue date, en particulier à la suite de son soutien à l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo en France après l’attentat djihadiste dans ses bureaux parisiens en 2015, qui a fait douze morts. L’attaque a eu lieu après la décision de Charlie Hebdo de publier à plusieurs reprises des caricatures du prophète Mahomet.

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Le Monde avec AFP

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