L’administration américaine a signé mercredi un accord très attendu avec Kiev, après des semaines de négociations houleuses.
Contrairement à une première mouture qui lui était très défavorable, l’Ukraine est parvenue cette fois à arracher des concessions, obtenant un compromis bien plus équilibré.
Mais certaines questions restent encore en suspens, en particulier sur l’incidence de cet accord sur la suite du conflit.

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Les discussions auront été longues et âpres, mais ont finalement abouti. Un accord entre Washington et Kiev sur l’exploitation des minerais ukrainiens a été signé (nouvelle fenêtre) mercredi 30 avril, actant la création d’un fonds commun « d’investissements dans la reconstruction ». Cette copie, obtenu après des semaines de pourparlers entre les deux pays, semble bien plus favorable aux Ukrainiens que ne l’était la première mouture américaine. 

Et la partie était loin d’être gagnée d’avance. Il y a un peu plus de deux mois, lorsque le président ukrainien Volodymyr Zelensky était arrivé à la Maison Blanche pour discuter de cet accord et qu’il s’était retrouvé sous les invectives de son homologue américain Donald Trump (nouvelle fenêtre), il était bien difficile d’imaginer qu’un compromis puisse un jour être trouvé (nouvelle fenêtre)

Mais à force de négociations, un accord a finalement été validé mercredi par le secrétaire américain au Trésor Scott Bessent et la ministre ukrainienne de l’Économie Ioulia Svyrydenko, venue à Washington pour l’occasion, dans une atmosphère a priori bien plus sereine. Sur plusieurs photos partagées par Kiev, ils apparaissent côte à côte devant leurs drapeaux respectifs, signant consciencieusement le document, avant de le montrer aux caméras, souriants.

La ministre ukrainienne de l’Économie, Ioulia Svyrydenko, aux côtés du secrétaire au Trésor américain Scott Bessent, à Washington, lors de la signature d’un accord sur les minerais ukrainiens, une photo partagée sur le compte Facebook de la ministre. – Handout / Facebook / @yulia.svyrydenko / AFP

La persévérance semble donc avoir été gagnante pour les Ukrainiens, face à une Russie qui avait elle aussi commencé à faire miroiter un compromis commercial à l’administration américaine, sur les ressources des zones occupées. « Le premier accord que les États-Unis signent, c’est avec Kiev, pas avec Moscou », nous lance d’emblée le général à la retraite Dominique Trinquand. Quant au contenu lui-même, quoi doit désormais être validé par le Parlement ukrainien, le ton a bien changé par rapport à la première copie proposée par les Américains, à en croire le texte intégral partagé par le gouvernement ukrainien et relayé par le journal The Kyiv Independent (nouvelle fenêtre)

Un « partenariat » bien plus qu’un projet d' »extorsion »

Donald Trump avait initialement exigé que cet accord puisse rembourser l’aide massive fournie par son pays à l’Ukraine depuis le début du conflit il y a trois ans, avançant il y a peu encore le chiffre de 350 milliards de dollars – une somme estimée en réalité à environ 120 milliards de dollars par l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale. Washington réclamait aussi dans certaines versions de pouvoir mettre la main directement sur les ressources elles-mêmes (nouvelle fenêtre). Des demandes refusées par Kiev, qui craignait de se retrouver dépossédée des richesses de son propre sous-sol.  

Désormais, la nouvelle mouture ne prévoit « aucune dette », a assuré le Premier ministre ukrainien Denys Chmygal. Selon Ioulia Svyrydenko, elle permettra de financer des « projets d’extraction de minerais, de pétrole et de gaz » via un fonds commun entre les deux pays (nouvelle fenêtre). Et Kiev gardera « entièrement la propriété et le contrôle » de ses ressources naturelles, dont les bénéfices tirés de l’exploitation serviront à la reconstruction du pays. « Cet accord serait beaucoup plus équilibré, ressemblant déjà beaucoup plus à un partenariat, à 50/50, qu’à de l’extorsion », note l’analyste géopolitique Ulrich Bounat. Et en réaffirmant cette souveraineté, l’Ukraine reste dans les clous des normes de l’Union européenne, et peut donc poursuivre son processus d’adhésion. 

Par ailleurs, le Trésor américain s’est félicité de ce compromis en évoquant une « reconnaissance » pour l’aide américaine fournie « depuis l’invasion à grande échelle de la Russie », une expression que semblait jusque-là éviter la nouvelle administration. Cette dernière est « engagée à un processus de paix centré sur une Ukraine libre, souveraine et prospère sur le long terme », a aussi écrit Scott Bessent, un discours à rebours des saillies fréquentes de Washington contre Kiev, y compris ces derniers jours (nouvelle fenêtre)

Pour la partie ukrainienne, cet accord signerait même la poursuite de la livraison d’aide de la part des États-Unis. La copie qu’elle a diffusée prévoit en effet que les sommes qui seraient mises sur la table pour toute « nouvelle assistance militaire » de Washington seraient créditées dans le fonds d’investissement qui va être créé. Pour le conseiller présidentiel Mykhaïlo Podoliak, cela « garantit de nouvelles livraisons d’armes américaines », a-t-il assuré sur le réseau X (nouvelle fenêtre)

Les « garanties » à long terme, point d’achoppement de l’accord ?

Mais côté américain, l’administration ne semble pas avoir commenté pour le moment ce point crucial. Et de manière générale, certains s’interrogent sur la mise en œuvre concrète de l’accord, derrière les effets d’annonce. « Quels bénéfices, sous quel délai, quels minerais… Il y a beaucoup d’hypothétique », souligne Ulrich Bounat. Le compromis prévoit pour l’heure de réinvestir les revenus dégagés dans la reconstruction de l’Ukraine, mais « le diable est dans les détails », se méfie l’expert.

Et sur le fond, les précieuses garanties de sécurité demandées par Volodymyr Zelensky (nouvelle fenêtre), qui imaginait sûrement une possible intervention militaire américaine sur son sol pour sécuriser leurs intérêts, ne figurent toujours pas dans cette dernière version. Pour certains spécialistes, Kiev a quand même arraché une victoire sur ce point. « L’accord signifie qu’il y aura un soutien américain dans la durée :  les États-Unis défendront leurs intérêts. C’est une garantie indirecte, même si une implication militaire n’est pas inscrite noire sur blanc », avance ainsi Dominique Trinquand. 

Mais d’autres sont bien plus sceptiques. « Pour l’heure, l’accord n’engage pas à grand-chose en termes militaires et stratégiques pour les États-Unis. Les dividendes que les Ukrainiens espéraient tirer sur ces points n’ont pas été obtenus », tranche de son côté Ulrich Bounat. Et de comparer avec la situation en Géorgie (nouvelle fenêtre), en juin 2008 : « il y avait des investissements américains dans le pays, mais cela n’a pas empêché Moscou de l’envahir »

De son côté, le Kremlin continue en tout cas ses pourparlers avec Washington sur l’exploitation de ses propres ressources, bien décidé à faire lui aussi jouer l’argument économique face à un Donald Trump en quête de bons « deals » à tout prix. 

Maëlane LOAËC

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