Choisi cette année pour intégrer l’agence Magnum Photos, le Palestino-Néerlandais Sakir Khader photographie depuis 2002 la Cisjordanie, où vit encore une partie de sa famille. A l’époque, il est encore un enfant. Il a 11 ans quand, un jour d’avril 2002, un tir israélien tue de deux balles dans le cœur son cousin Kosay, à Naplouse, « son dernier souffle rendu dans le jardin où nous avions autrefois partagé des tranches de pastèque froide et parlé de nos rêves les plus fous », écrit-il dans le texte de son exposition au festival BredaPhoto, qui se tient actuellement aux Pays-Bas. Cet événement tragique lui donne un but : « Depuis, je prends ces photos pour lui, pour montrer au monde qui nous sommes, que nous existons, que nous appartenons à cette terre d’oliviers et de figues, avec des racines plus profondes que la portée de n’importe quelle balle. »

<b>Israa Ar’arawi, devant chez elle, dans le camp de Jénine (Cisjordanie), en février 2024.</b><br>
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Sakir Khader se rappelle qu’il lui a demandé : <i>« Salut Israa, quel est ton rêve ? »</i> Silence. Elle lève les yeux, prend une grande inspiration, puis les baisse. <i>« Je veux mourir »,</i> murmure-t-elle.  <i>« Quoi ? » « Je veux mourir. » « Mais Israa, si je meurs et que tu meurs, qui reconstruira notre terre ? »</i> Elle baisse de nouveau les yeux, sa voix est douce alors qu’elle commence à parler. <i>« Je suis tellement fatiguée des explosions, de la destruction. Je suis fatiguée des Israéliens, qui détruisent toujours tout. Ils entrent dans notre maison et pointent leurs armes sur nous. J’ai peur. Je veux juste que tout se termine. Je suis fatiguée. Tellement, tellement fatiguée. »</i>

Depuis le début de la guerre à Gaza, Sakir Khader a refait plusieurs voyages en Cisjordanie. Les mois précédant l’attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, avaient laissé entrevoir une intensification de la violence dans les territoires palestiniens ; l’année écoulée n’a fait que la confirmer. A des degrés divers, les incursions de l’armée israélienne ou de colons y sont devenues quasiment quotidiennes. Ces derniers mois, l’armée a notamment investi les camps de Jénine et Naplouse, qu’Israël considère comme des foyers de combattants. Le nombre de morts qui en découle a aussi augmenté. Au 25 septembre 2024, le ministère de la santé palestinien comptait 717 morts, dont 160 enfants et 10 femmes. Du point de vue israélien, des « terroristes ». Du point de vue palestinien, des « martyrs ».

Dans ce contexte de violence omniprésente, quelle est la place des enfants ? Ils jouent, admirent leurs aînés, rêvent. Mais plus encore qu’avant l’incursion meurtrière du Hamas, les funérailles sont fréquentes, et ils voient leurs terrains de jeu transformés en cimetière. Leurs parents sont quasiment absents, obligés de se réinventer pour faire face à la crise économique. En Cisjordanie, le taux de chômage est passé de 12,9 % avant le conflit à 32 %, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

Certains, pris en tenailles entre les colonies et les checkpoints, ont dû arrêter l’agriculture pour des raisons de sécurité, d’autres ont perdu leur emploi en Israël et se débrouillent au jour le jour pour subvenir aux besoins de leur famille. Quant à ceux qui travaillent en Cisjordanie, ils mettent souvent plusieurs heures pour atteindre leur lieu de travail, gênés par la multiplication des barrages israéliens depuis le début de la guerre. « Les gens ne le disent pas, parce qu’ils sont fiers, mais c’est très dur. Parfois, ils n’ont pas de quoi manger du pain ou du riz », témoigne Sakir Khader.

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