Après six mois de tergiversations, la chute d’un gouvernement et huit semaines de loi spéciale, la France est enfin parvenue à se doter d’un budget. Il était temps, car les dégâts causés par cette panne commençaient à peser lourd : impossibilité pour l’Etat de soutenir et d’investir, perte de visibilité et d’attractivité, inquiétude des partenaires de la France sur sa capacité à peser économiquement mais aussi politiquement… Le risque de décrochage était patent.
Le rejet de la motion de censure déposée par La France insoumise s’est produit, mercredi 5 février, dans un hémicycle de l’Assemblée nationale largement déserté. Il ne valait pas blanc-seing, mais tranchait avec l’ambiance survoltée qui avait prévalu deux mois plus tôt, lors du vote de censure contre Michel Barnier. Face à la gravité du contexte, les députés socialistes ont, à l’exception de six d’entre eux, suivi à la lettre la consigne de non-censure donnée par leur parti deux jours plus tôt. A l’autre bout du spectre politique, le Rassemblement national (RN), qui avait précipité la chute du précédent gouvernement, a décidé, cette fois, de ne pas censurer. Le projet de budget pour 2025 sera définitivement adopté après le vote du Sénat, jeudi 6 février.
Toutefois, personne ne s’estime satisfait et chacun a de bonnes raisons pour clamer sa frustration, à commencer par le premier ministre, qui aurait préféré élaborer sa propre copie au lieu de partir de celle de son prédécesseur. Michel Barnier s’était lui-même plaint d’avoir manqué de temps lorsqu’il avait hérité de comptes publics en pleine dérive, au lendemain d’une dissolution en tout point hasardeuse.
Mais cette fois, la plupart des forces politiques ont pris conscience que le blocage enfoncerait encore un peu plus le pays dans la crise et que leurs électeurs leur tiendraient rigueur de n’avoir pas tenté un compromis. Le cadrage auquel elles ont abouti à force de discussions et de concessions est loin d’être parfait, mais il a l’avantage d’éviter le pire, notamment une flambée des taux d’intérêt qui aurait eu pour conséquence de renchérir considérablement le remboursement de la dette publique.
Le plus dur reste à faire
En plein ralentissement de la croissance, et alors que le chômage remonte, la crédibilité du compromis fait de hausses d’impôts majoritairement ciblées sur les entreprises et de coups de rabot dans les dépenses de l’Etat est fragile. L’objectif de départ, qui était de ramener le déficit public de 6 % à 5 % du produit intérieur brut, a été édulcoré à 5,4 %, tant la marche est apparue haute. Dans une stratégie de redressement budgétaire qui court jusqu’en 2029, cela veut dire qu’un tout petit pas a été fait et que le plus dur reste à faire.
A peine le budget adopté, François Bayrou a prévenu de son intention de remettre à plat les dépenses de l’Etat au lieu de les reconduire année après année. Il est prêt à associer à cette démarche les parlementaires qui le souhaitent. Il n’a pas caché que le financement de la protection sociale était à bout de souffle et que le pays était dans l’obligation de se « reconstruire » dans un environnement international particulièrement hostile.
Ses moyens d’action restent faibles. Le socle des partis qui le soutiennent ne s’est pas élargi, le Parti socialiste reste fermement ancré dans l’opposition, prêt à le censurer en menant la bataille des valeurs, notamment sur l’immigration. Le RN n’a pas renoncé à le faire chuter, le moment venu. Inlassable adepte du compromis, François Bayrou reste tributaire du bon vouloir de ses opposants.