C’est l’histoire d’une petite Chinoise de 14 ans admise dans un hôpital de la ville de Chengdu (province du Sichuan) treize heures après avoir ingéré six lames de rasoir. Elle a mal au ventre, mais n’a ni nausées ni vomissements. Elle s’était auparavant rendue dans un petit hôpital local où une radiographie abdominale avait suggéré la présence d’un corps étranger intestinal. Elle a ensuite été transférée d’urgence dans un grand centre hospitalier.

Les lames de rasoir que l’enfant a avalées ont parcouru les intestins.

Un scanner abdominal, réalisé immédiatement, suggère fortement la présence de plusieurs corps étrangers métalliques dans l’estomac, le duodénum et l’intestin. La plus grande image anormale mesure 1,9 cm sur 0,3 cm et se situe dans l’estomac, précisent les médecins qui ont rapporté ce cas clinique le 15 août 2025 dans la revue américaine Medicine.

Une seule lame a pu être retirée par endoscopie

Une endoscopie œso-gastro-duodénale (fibroscopie digestive) est réalisée. Cet examen permet de mettre en évidence d’éventuelles lésions de l’œsophage, de l’estomac et du duodénum (la première portion de l’intestin grêle). Cette procédure permet de constater la présence d’une lame de rasoir, mesurant 1,2 cm sur 0,4 cm. Lors de l’extraction du corps étranger tranchant, la fillette vomit violemment. Après l’extraction, elle souffre de fortes douleurs abdominales.

Les cinq autres lames ont cependant déjà franchi le pylore, l’orifice reliant l’estomac à l’intestin grêle. Elles peuvent donc, à tout moment au cours de leur progression, provoquer une perforation intestinale ou une hémorragie digestive. Ces complications surviennent dans 15 % à 35 % des cas.

La patiente est alors hospitalisée en gastro-entérologie sous surveillance étroite. À l’examen, ses paramètres vitaux sont dans les limites de la normale et les paramètres biochimiques sont normaux. Et après un traitement par réhydratation intraveineuse, son état général s’améliore six heures après son admission.

Une seconde fibroscopie digestive, sous anesthésie générale, est alors réalisée. Elle montre quelques lésions éparses de la muqueuse gastrique, mais aucune anomalie manifeste au niveau du duodénum. Les gastroentérologues en concluent que les autres lames de rasoir ont déjà progressé dans l’intestin et se trouvent désormais hors de portée de l’endoscope. Il est alors convenu avec les chirurgiens digestifs qu’une intervention chirurgicale ne sera envisagée qu’en cas de perforation intestinale ou d’hémorragie digestive.

Le lendemain, la patiente se plaint d’une douleur diffuse et de coliques intermittentes. Un scanner abdominal est réalisé en urgence, révélant la présence de deux objets anormaux dans l’intestin (au niveau du côlon ascendant et du côlon transverse), dont l’apparence sur les images correspond clairement à des fragments métalliques. Après avis chirurgical, aucune indication opératoire n’est retenue. Les médecins décident d’administrer de l’huile de paraffine, un laxatif agissant en lubrifiant le contenu intestinal et en ramollissant les selles.

Au cours des deux jours suivants, l’état de la patiente reste globalement stable. Un troisième scanner abdominal sans injection montre alors deux images anormales, cette fois dans le côlon transverse et le côlon descendant. Les médecins administrent un lavement et, finalement, les cinq lames restantes sont éliminées dans les selles.

Tout est bien qui finit bien pour la fillette, qui a bénéficié d’un scanner abdominal toutes les 12 heures après son admission afin de suivre la localisation des corps étrangers et détecter d’éventuelles complications. Elle n’a donc pas été opérée. Il faut savoir que lorsqu’un corps étranger tranchant atteint l’intestin grêle et provoque douleurs abdominales, nausées et vomissements, le recours à la chirurgie peut dépasser 90 % des cas.

Quant à savoir pourquoi cette adolescente de 14 ans a avalé des lames de rasoir, les médecins estiment qu’elle faisait face à une forte pression scolaire et sociale, à l’origine de troubles psychologiques.

En 2017, une issue heureuse (c’est le cas de le dire) avait également été rapportée pour un autre enfant chinois, un garçon de 10 ans, qui avait fini par expulser par les voies naturelles la lame d’un couteau.

L’ingestion de corps étrangers est fréquemment observée chez les enfants âgés de 6 mois à 4 ans, période où ils explorent activement leur environnement. Les pièces de monnaie sont les objets les plus couramment ingérés dans les pays occidentaux.

La plupart des corps étrangers traversent le tube digestif sans complications et peuvent être pris en charge simplement. Cependant, les piles boutons, les aimants et les objets tranchants ou acérés peuvent causer des dommages importants s’ils ne sont pas reconnus à temps et pris en charge en urgence.

L’extraction endoscopique doit idéalement être réalisée le plus tôt possible. Au-delà de 24  heures, le risque de complications et d’échec de l’endoscopie digestive augmente nettement. Pour les objets tranchants, les recommandations européennes préconisent une intervention en urgence, de préférence dans les deux heures et au plus tard dans les six heures, surtout chez l’enfant.

Ingestion de plus de 100 corps étrangers chez un adulte

Impossible de conclure ce billet sans évoquer un autre cas clinique exceptionnel : un homme souffrant de troubles mentaux ayant ingéré plus de 100 corps étrangers, retrouvés dans son estomac. Ce cas a été rapporté en février 2025 dans le Journal of Visceral Surgery par des chirurgiens de l’université de Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne).

Ce patient, âgé de 38 ans et présentant des antécédents de schizophrénie, a été hospitalisé pour douleurs abdominales sévères. Au cours des cinq années précédentes, il avait ingéré de nombreux objets nécessitant trois laparotomies, c’est-à-dire des interventions chirurgicales consistant à ouvrir la paroi abdominale pour accéder à l’estomac ou aux intestins. Deux ans plus tôt, il avait développé un abcès intra-thoracique après l’ingestion d’un corps étranger, qui avait lui aussi nécessité une intervention chirurgicale.

À l’admission, la radiographie abdominale a révélé la présence de nombreux corps étrangers. Lors de la laparotomie exploratrice, les chirurgiens ont constaté une dilatation de l’estomac et une perforation du duodénum causée par un trombone déplié. L’ouverture chirurgicale de l’estomac a permis de découvrir un ensemble disparate de 102 objets !

« Il est difficile de comprendre comment un grand nombre d’objets peut rester dans l’estomac pendant une longue période sans produire de complications », font remarquer Francisco Gonzalez et ses collègues chirurgiens. On veut bien les croire !

Après l’opération, un corps étranger est resté dans la région située le long des vertèbres lombaires gauches L1 à L3. En raison de sa localisation, aucune tentative n’a été faite pour le retirer. « Le mécanisme exact de la perforation et de la migration est inconnu, mais les mouvements péristaltiques gastriques et intestinaux peuvent jouer un rôle important », notent les chirurgiens espagnols.

Le patient est sorti de l’hôpital une semaine plus tard pour être admis dans un établissement psychiatrique où il a été maintenu sous traitement et a reçu des soins postopératoires.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Cet homme a continué à ingérer des corps étrangers métalliques à plusieurs reprises, nécessitant leur retrait par fibroscopie gastrique. Le corps étranger situé dans la région paravertébrale gauche (à proximité du muscle psoas) est resté stable pendant huit ans, jusqu’au décès du patient à l’âge de 46 ans des suites d’un cancer du poumon.

Pour en savoir plus :

Zhang L, Li S, Yang X, et al. Spontaneous passage of multiple ingested razor blades : A rare case report and review of the literature. Medicine (Baltimore). 2025 Aug 15 ;104(33) :e43857. doi : 10.1097/MD.0000000000043857

Sims JK, Li R, Lovvorn HN 3rd. Digestive Foreign Bodies in Children : Old Problems, New Complexities. Adv Surg. 2025 Sep ;59(1) :325-339. doi : 10.1016/j.yasu.2025.05.007

Di Siena A, Melli P, Rodofile F, et al. Foreign Body Ingestion in Children : A 16-year Experience. Pediatr Gastroenterol Hepatol Nutr. 2025 Jul ;28(4) :215-223. doi : 10.5223/pghn.2025.28.4.215

Manfredi MA, Alvarez RP, Arai K, et al. Global insights on the diagnosis, management, and prevention of pediatric ingestions : A report from the FISPGHAN expert panel. JPGN Rep. 2025 May 26 ;6(3) :274-287. doi : 10.1002/jpr3.70025

Gonzalez F, Concheiro-Coello P, Brenlla-Gonzalez J. Ingestion of an unusually high number of foreign bodies in a mentally ill man. J Visc Surg. 2025 Feb ;162(1) :50-51. doi : 10.1016/j.jviscsurg.2024.06.010

Demiroren K. Management of Gastrointestinal Foreign Bodies with Brief Review of the Guidelines. Pediatr Gastroenterol Hepatol Nutr. 2023 Jan ;26(1) :1-14. doi : 10.5223/pghn.2023.26.1.1

Shrestha S, Sapkota R, Bhatta S, et al. Esophageal Perforation following Accidental Ingestion of a Razor Blade. Case Rep Surg. 2022 Mar 17 ;2022 :1974147. doi : 10.1155/2022/1974147

Wu W, Lv Z, Xu W, Liu J, Sheng Q. An analysis of foreign body ingestion treatment below the pylorus in children. Medicine (Baltimore). 2017 Sep ;96(38) :e8095. doi : 10.1097/MD.0000000000008095

Birk M, Bauerfeind P, Deprez PH, et al. Removal of foreign bodies in the upper gastrointestinal tract in adults : European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) Clinical Guideline. Endoscopy. 2016 May ;48(5) :489-96. doi : 10.1055/s-0042-100456

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