« La douleur de la faim est plus forte que la peur des bombardements » : les journalistes de l’AFP à Gaza racontent l’enfer

Bashar Taleb, 35 ans, l’un des quatre photographes de l’Agence France-Presse (AFP) sélectionnés cette année pour le prix Pulitzer, vit dans les ruines de sa maison à Jabaliya Al-Nazla, dans le nord de l’enclave palestinienne.

« J’ai dû interrompre mon travail plusieurs fois pour chercher de la nourriture pour ma famille, raconte-t-il. Pour la première fois, je me sens complètement abattu. »

Le photographe de l’Agence France-Presse Bashar Taleb, à Gaza, le 10 décembre 2024.

Son collègue Omar Al-Qattaa, photographe également âgé de 35 ans et lui aussi candidat au Pulitzer, se dit épuisé : « Je dois porter du matériel lourd, marcher des kilomètres (…). On ne peut plus se rendre sur les lieux de reportage, on n’a plus de force à cause de la faim. »

Il dépend d’antalgiques pour soulager des douleurs dorsales, mais affirme que les médicaments de base sont introuvables en pharmacie, tandis que le manque de vitamines et d’aliments nutritifs aggrave sa situation.

Le photojournaliste de l’Agence France-Presse Omar Al-Qattaa, à Gaza, le 26 décembre 2024.
Le photojournaliste de l’Agence France-Presse Omar Al-Qattaa, à Gaza, le 26 décembre 2024.

Khadr Al-Zanoun, 45 ans, habitant de la ville de Gaza, affirme avoir perdu 30 kilos depuis le début de la guerre. Le journaliste évoque des évanouissements à cause du manque de nourriture et d’eau, ainsi qu’une « fatigue extrême » et la difficulté à travailler : « Ma famille est aussi à bout. »

Le journaliste de l’Agence France-Presse Khadr Al-Zanoun, à Gaza, le 22 juillet 2025.

Le photojournaliste Eyad Baba, 47 ans, déplacé du sud de la bande de Gaza vers le centre à Deir Al-Balah, où l’armée israélienne a lancé une offensive terrestre cette semaine, a dû quitter un camp surpeuplé et insalubre pour louer un logement à un prix exorbitant, afin d’y abriter sa famille. « Je n’en peux plus de cette faim, elle touche mes enfants », confie-t-il.

« Dans le cadre de notre travail, nous avons été confrontés à toutes les formes possibles de mort. La peur et la sensation d’une mort imminente nous accompagnent partout », poursuit ce dernier, soulignant qu’être journaliste à Gaza, c’est travailler « sous la menace constante des armes ». « La douleur de la faim est plus forte que la peur des bombardements », ajoute-t-il.

Le photojournaliste de l’Agance France-Presse Eyad Baba, à Gaza, le 24 avril 2025.

La journaliste de l’AFP Ahlam Afana, 30 ans, souligne une autre difficulté : une épuisante « crise de liquidités », liée à des frais bancaires exorbitants et à une inflation galopante sur les rares denrées disponibles, vient aggraver la situation.

Les retraits en liquide peuvent être taxés jusqu’à 45 %, explique Khadr Al-Zanoun, tandis que le prix des carburants explose – là où on en trouve, rendant tout déplacement en voiture impossible.

Un homme brandit une pancarte « un journaliste affamé écrit un reportage sur la famine », lors d’un rassemblement des journalistes de Gaza, à Gaza, le 19 juillet 2025.

« Les prix sont exorbitants », déplore Ahlam Afana, détaillant : « Un kilo de farine se vend entre 100 et 150 shekels israéliens (25 à 38 dollars), ce qui dépasse nos moyens, même pour en acheter un seul kilo par jour. » Quand « le riz coûte 100 shekels, le sucre dépasse les 300, les pâtes 80, un litre d’huile entre 85 et 100. Les tomates se vendent entre 70 et 100 shekels. Même les fruits de saison – raisins, figues – atteignent 100 shekels le kilo. » « Nous ne pouvons pas nous le permettre. Je ne me souviens même plus de leur goût », témoigne-t-elle.

La journaliste explique qu’elle travaille depuis une tente délabrée, sous une chaleur étouffante : « Je bouge lentement. Ce n’est pas seulement les bombardements qui nous menacent, c’est la faim qui nous ronge. Je ne me contente plus de couvrir la catastrophe. Je la vis. »

Le vidéaste de l’Agence France-Presse Youssef Hassouna, à Gaza, le 8 janvier 2025.

Le vidéaste Youssef Hassouna, 48 ans, confie que la perte de collègues, d’amis et de membres de sa famille l’a éprouvé « de toutes les manières possibles ». Malgré un « profond vide intérieur », il dit continuer à exercer son métier. « Chaque image que je capture pourrait être la dernière trace d’une vie ensevelie sous les décombres », dit-il.

Zouheir Abou Atileh, 60 ans, ancien collaborateur du bureau de l’AFP à Gaza, partage le vécu de ses confrères et parle d’une situation « catastrophique ». « Je préfère la mort à cette vie », affirme-t-il.

Reporters sans frontières (RSF) a rappelé mardi que plus de 200 journalistes avaient été tués à Gaza depuis l’attaque du 7 octobre 2023.

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