Ce n’est pas un roman, même s’il en a l’attrait. Ce n’est pas un essai politique, même s’il en a l’acuité. C’est un objet littéraire non identifié, dont l’auteur, Jean-Pierre Sueur, est un ancien député, un ancien secrétaire d’Etat de François Mitterrand, un ancien sénateur, mais surtout un fin lettré, un homme de culture passionné par Charles Péguy. L’action d’Une journée singulière se déroule sur un seul jour de novembre 2003, dans une préfecture non nommée peut-être s’agit-il d’Orléans, dont le linguiste a été maire de 1989 à 2001 –, où le lecteur est invité à suivre l’emploi du temps du secrétaire général de la préfecture, qui sait qu’il « passera sa journée à présider des réunions ». Un théâtre de la « démocratie molle », où pas moins de 150 commissions se réunissent régulièrement.
On ne connaît ni le nom ni l’âge de ce secrétaire général, très européen, « pessimiste actif », « laïque et croyant à la fois », qui « aimait son métier ». On est dans sa tête, avec ses pensées et ses rêveries, alors que, alternance oblige, le préfet, cette « reine des abeilles » qui a servi loyalement 23 gouvernements, s’apprête à partir à la retraite. Il se demande « pourquoi il n’existe pas un délit de non-publication des décrets dont le pouvoir exécutif pourrait se voir reconnu coupable ». L’auteur a du mal à se dissimuler derrière ce haut fonctionnaire plutôt de gauche, mais « plus à l’aise dans le corps préfectoral que dans un parti », qui écrit avec beaucoup d’humour et manie l’ironie avec gourmandise.
« Jardin à la française »
Le secrétaire général se pose beaucoup de questions, comme de savoir si la défense du bien commun est compatible avec le rôle de « lobbyiste d’intérêts particuliers » qu’on aimerait lui faire jouer. « Son Etat s’énonce distinctement avec ses préfectures et ses sous-préfectures, ses départements et ses arrondissements, ses directions et ses subdivisions, ses lois, ses décrets et ses circulaires d’application. Chaque chose est à sa place. (…) C’est un jardin à la française. » « Périr ou signer », telle pourrait être la devise de ces préfets dont la carrière se confond avec des centaines de milliers de paraphes. Il raconte ainsi l’histoire d’un préfet ayant ratifié sans lire le permis de démolir d’une cathédrale gothique…
Ce récit qui n’a rien d’austère est peuplé de rebondissements. Il évoque une idylle entre une sous-préfète à la ville – « socialiste dans l’âme » qui se demande à quoi bon « être un politique de droite », puisque la droite « veut que les choses restent en l’état » – et un jeune directeur de cabinet chiraquien. Il nourrit le suspense sur les malheurs d’un « ermite urbain », gardien d’une chapelle romane, qui se fait voler une bible enluminée qu’il retrouve mystérieusement sur son bureau. Il raconte un déjeuner avec son amie de vingt ans, qui lui fait un cours sur le structuralisme. Mais ce n’étaient que rêveries : ni idylle, ni « ermite urbain », ni même amie. A l’issue de sa journée, achevée à 20 h 40, notre secrétaire général dévoile sa vérité : c’est un poète.
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