Grains violents ou vent totalement absent, le Pot-au-Noir a pour fâcheuse habitude de mettre à rude épreuve les nerfs des skippers du Vendée Globe.
Après une dizaine de jours en mer, les leaders de la flotte approchent de cette zone redoutée pour sa météo changeante et capricieuse, où le temps peut paraître interminable dans la pétole.
Ils vont débuter sa traversée mercredi 20 novembre.

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Vendée Globe, l’incroyable aventure humaine

C’est un endroit sur Terre où la météo n’en fait qu’à sa tête. Partis des Sables-d’Olonne , dimanche 10 novembre, les 40 concurrents engagés sur ce Vendée Globe anniversaire barrent actuellement vers le Sud-Atlantique, en direction du Pot-au-Noir . Les leaders vont débuter sa traversée, mercredi 20 novembre, avant d’y repasser à la mi-janvier sur le chemin retour. X et la flotte qui l’a pris en chasse foncent toutes voiles dehors vers cette zone de convergence intertropicale (ZCIT), qui forme une ceinture de basses pressions près de l’équateur, entre la pointe du Brésil aux côtes du continent africain.

Centre de dépressions atmosphériques où naissent les cyclones, cette bande de quelques centaines de kilomètres, située entre le 8° et le 3° nord, se caractérise par son alternance de calmes et de grains violents. Elle est le lieu de conflit entre les systèmes météorologiques des deux hémisphères. Au Nord souffle des alizés du nord-est vers le sud-ouest, au Sud des vents réguliers du sud-est vers le nord-ouest. Leur affrontement crée un no man’s land climatique fragile et fugace pour quiconque ose s’y risquer.

Le parcours du Vendée Globe 2024. – VENDEE GLOBE

« C’est lié à la polarité. Le pôle Nord fait tourner les systèmes météorologiques dans un sens, le Sud dans l’autre. C’est une zone dans laquelle la nature n’a pas tellement de règles », affirme auprès de TF1info le skipper Louis Burton (Bureau Vallée 3), qui relève pour la 4ᵉ fois le défi de la mythique course à la voile en solitaire, sans escale et sans assistance.

On retrouve un peu l’esprit des grands voyages océaniques

Louis Burton, skipper Bureau Vallée 3

Dans cette partie « tampon », les températures élevées de l’eau (27 à 29°C) et de l’air (35 à 40°C) font grimper le taux d’humidité, proche de 100%. Cette très forte évaporation avantage la formation de cumulonimbus, de gros nuages à la forme d’enclume en haute altitude, très noirs à la base, qui chargent le ciel. Ils occasionnent par roulement des pluies diluviennes, des violents orages, des grains éphémères et des calmes plats. « On n’est pas capable de prévoir au niveau des modèles météorologiques ce qu’il va se passer dans cette zone. On retrouve un peu l’esprit des grands voyages océaniques du XVe au XIXe siècle, quand les marins partaient dans une forme d’inconnu », confie le navigateur de 39 ans, originaire d’Ivry-sur-Seine, en région parisienne.

« C’est un endroit spectaculaire et impressionnant. Les conditions y sont très changeantes. On doit faire beaucoup de changements de voile, ce qui est très fatigant », nous explique Samantha Davies (Initiatives-Cœur), une nouvelle fois au départ de « l’Everest des mers », après 2008, 2012 et 2020. « C’est angoissant et magique en même temps. C’est une zone qui ne pardonne pas où il faut avoir une énorme dose de concentration et de vigilance. Il faut essayer d’être très réactif pour se placer d’un côté ou de l’autre des nuages qui se font et défont très vite », assure Louis Burton.

Le Pot-au-Noir expliqué en infographie.
Le Pot-au-Noir expliqué en infographie. – INITIATIVES-COEUR

L’origine de la formule Pot-au-Noir, entrée dans le jargon des marins pour nommer cette zone géographique, divise. Il se dit qu’elle ferait référence à la traite des Noirs, débutée au XVIᵉ siècle, au cours de laquelle les négriers, profitant de l’avancée lente des navires dans cette zone, passaient les esclaves malades ou morts par-dessus bord. Mais un lien est aussi établi avec un jeu apparenté au colin-maillard. Le but : une personne, les yeux bandés, devait en chercher d’autres joueurs à tâtons. Lorsqu’elle approchait d’un danger, afin de lui éviter de finir la partie avec un œil au beurre noir, on l’avertissait contre le « pot-au-noir ». Une expression, doldrums en anglais, synonyme de piège au XVIIIᵉ siècle.

On ne sait pas ce qui peut se passer dans le Pot-au-Noir

Jérémie Beyou, skipper Charal

Un piège qui ne demande qu’à se refermer sur les participants au Vendée Globe, à la merci d’un système de vents sporadique et instable. Il peut ainsi leur arriver de rester coincés dans la pétole, sans qu’un brin d’air ne souffle pour gonfler les voiles. « On peut rester englué dedans pendant des jours et des jours. Ça peut être très long », tonne Sam Davies. Et ce, alors que, dans le même temps, à parfois quelques kilomètres à bâbord ou tribord, des adversaires peuvent eux avoir la chance d’essuyer de gros grains. 

Leçon de Pot-au-Noir par Clarisse CrémerSource : Vendée Globe

Une expérience malheureuse que Louis Burton a vécue. « Je suis déjà arrivé sur le Pot-au-Noir dans une Transat Jacques-Vabre à la 4ᵉ position et j’en suis ressorti à la 9ᵉ position », se remémore-t-il, évoquant avoir éprouvé « un sentiment d’impuissance ». « Je voyais passer les bateaux passer à dix kilomètres sur ma gauche ou sur ma droite et me doubler. » 

C’est justement ce qui se rend le Pot-au-Noir si impitoyable. Aucun skipper ne sait où il met ses foils, ces appendices tout en carbone qui permettent à une catégorie d’Imoca de décoller sur l’eau. « J’ai eu de la réussite dans des Pot-au-Noir et j’ai aussi eu des gros coups de malchance. Quand j’analyse les fois où ça s’est bien passé et les fois où ça a bloqué, je remarque que je n’ai pas navigué de manière différente », note auprès de TF1info l’expérimenté Jérémie Beyou (Charal), quatre Vendée Gobe à son actif. « Il faut faire simple et être opportuniste si on peut l’être. Il y a un côté fataliste : on choisit un point d’entrée et après on ne sait pas peut se passer dedans, tant qu’on n’en est pas ressorti. Il y a une part évidente de chance ou de malchance. » 

De là à ruiner toute ambition de gagner le Vendée Globe ? Sur cette question, la flotte est partagée. « Oui, on peut le perdre en ratant le Pot-au-Noir », assure Samantha Davies. « C’est un passage redoutable », confirme Louis Burton, qui rappelle qu’il est aussi possible de gagner « grâce à lui ». « C’est arrivé à Alain Gautier en 1992 qui raconte qu’il a eu un bol pas possible, à l’aller, dans cette zone-là. Il a pris énormément d’avance sur ses concurrents et il a réussi à la garder jusqu’au bout pour l’emporter. » 

Jérémie Beyou, quant à lui, veut croire que rien n’est perdu, tant que personne n’a franchi la ligne d’arrivée en tête. « Sur une Transat Jacques-Vabre, quand on franchit le Pot-au-Noir, derrière il y a le Brésil. Il ne reste plus grand-chose pour se rattraper. Sur un Vendée, on peut se refaire. On l’a vu il y a quatre ans, ça peut se jouer jusque dans les derniers mètres. Si ça se passe mal, il faut se dire que c’est comme ça et remettre du charbon derrière. » Se battre tant qu’il y a de l’espoir, voilà ce que c’est d’être un marin sur le Vendée Globe. Peu importe les vents contraires.


Yohan ROBLIN

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