Ce mercredi, Sarah Knafo a accusé la France d’entretenir l’immigration à Mayotte.
D’après l’eurodéputée d’extrême droite, « plus nous donnons aux Comores, plus il y a de migrants à Mayotte ».
Une information qui s’appuie sur des chiffres trompeurs et une démonstration hasardeuse.
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L’info passée au crible des Vérificateurs
Elle s’inscrit visiblement dans les pas d’Elon Musk. À l’instar de celui qui veut couper à la tronçonneuse dans les dépenses de l’État américain, Sarah Knafo s’en prend régulièrement à l’aide au développement financé par la France. Dernier exemple en date, l’eurodéputée a accusé la France d’entretenir des programmes aux Comores qui provoquent de l’immigration à Mayotte. « Pourquoi l’immigration comorienne explose-t-elle, alors que l’aide au développement vers ce pays hostile a plus que doublé depuis 2017 ? », s’interroge ainsi l’élue d’extrême droite dans une publication (nouvelle fenêtre)partagée sur ses réseaux sociaux ce 23 avril.
Une publication en réponse aux propos tenus par Jean-Noël Barrot. Alors que le président Emmanuel Macron était à Mayotte lundi (nouvelle fenêtre), notamment pour évoquer le défi migratoire auquel doit faire face l’archipel, le ministre des Affaires étrangères a défendu la coopération avec les Comores. Celle-ci doit même « être renforcée » et « améliorée », a-t-il plaidé sur Franceinfo (nouvelle fenêtre). « L’aide au développement des Comores permet de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière », avait souligné le ministre à cette occasion. Alors, qui dit vrai ?
Un accord bilatéral négocié en 2018
En guise de preuve, l’eurodéputée d’extrême droite propose en illustration un graphique. Intitulé « plus nous donnons aux Comores, plus il y a de migrants à Mayotte », il compare le montant de l’aide publique au développement (APD) à la part de la population étrangère à Mayotte.
Concernant ce premier indicateur, cette proche d’Eric Zemmour dit vrai. Entre 2018 et 2022, l’aide engagée par la France à cet État de l’océan Indien a doublé, passant de 16,78 millions d’euros à 52,71, d’après les données publiques (nouvelle fenêtre) de l’aide au développement. Une évolution loin d’être surprenante, puisqu’elle fait partie d’un accord signé entre les deux pays. Au cours d’une visite officielle en juillet 2019 (nouvelle fenêtre), le président Azali Assoumani a en effet signé un partenariat comportant « des engagements réciproques afin de lutter contre l’immigration clandestine » assorti d’un plan de développement de 150 millions d’euros sur trois ans. Des sommes financées dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’emploi et de l’insertion professionnelle des jeunes, pour traiter les causes profondes de l’immigration.
À noter qu’avec la fin de cet accord, les sommes allouées par la France ont baissé à nouveau. En 2023, 18 millions d’euros ont été versés, retrouvant des niveaux comparables à 2018.
Une vision trompeuse de l’immigration à Mayotte
Alors, ces financements montrent-ils déjà des effets comme le dit le ministre ? Ou provoquent-ils au contraire des départs en masse comme l’assure Sarah Knafo ? Difficile d’être conclusif, tant les résultats de tels programmes doivent être observés sur le long terme. D’autant que les chiffres de l’immigration partagés par l’eurodéputée sont faux.
En réalité, nous ne disposons pas de données récentes sur la présence de résidents étrangers à Mayotte. La dernière analyse de l’Insee à ce sujet remonte à 2019. Celle-ci relevait que près « d’un habitant sur deux est de nationalité étrangère », soit 48%. Un recensement qui n’a pas été remis à jour. Auprès de TF1info, l’institut chargé de la statistique s’en explique. « La collecte du recensement », qui a lieu tous les cinq ans en France, « a démarré à Mayotte en 2021 ». « Ce premier cycle aurait dû s’achever » mais « le passage du cyclone Chido (nouvelle fenêtre)a bousculé cette programmation ». Des résultats actualisés ne seront pas diffusés avant 2026.
Les chiffres partagés par Sarah Knafo ne proviennent donc pas de l’Insee. On les retrouve plutôt dans des modélisations réalisées par l’Ifrap, un groupe de réflexion proche de la droite libérale. Publiées en février 2024 (nouvelle fenêtre), elles extrapolent des données établies par l’institut plusieurs années plus tôt. Une méthode trompeuse. S’il « n’appartient pas à l’Insee d’évaluer les calculs produits par d’autres institutions », l’un de ses experts reconnait que certaines hypothèses retenues par l’Ifrap ne sont pas rigoureuses. Comme le relève l’Insee dans une analyse (nouvelle fenêtre)à ce sujet, « il n’est pas possible de prévoir les migrations ». « L’évolution des migrations futures dépend de nombreux facteurs exogènes : environnement économique et social de Mayotte, des Comores, et des autres pays de la zone, politiques migratoires, dispositifs d’aide à la mobilité des Mahorais notamment. »
En résumé, le chiffre présenté par Sarah Knafo ne fournit pas d’informations fiables sur la population étrangère à Mayotte. Il ne peut pas être utilisé pour observer les effets d’une politique d’aide au développement sur l’immigration. Au contraire, un autre indicateur permet de mieux appréhender le sujet : celui du nombre total d’éloignements de Mayotte vers les pays d’origine. Or, d’après les chiffres de la préfecture de l’archipel (nouvelle fenêtre), à l’exception de 2020 – année de crise sanitaire – le nombre total d’éloignements n’a cessé d’augmenter. Grâce au partenariat noué avec les autorités comoriennes, leur nombre est passé d’environ 9.400 en 2018 à plus de 22.300 en 2022.
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