• Des comptes sur des plateformes de revente utilisent des photos générées par IA pour attirer les utilisateurs vers des produits d’occasion.
  • Les acheteurs reçoivent en réalité un produit neuf valant 3 à 4 fois moins cher, provenant d’une plateforme de fast-fashion.
  • Les Vérificateurs de TF1/LCI ont démonté le mécanisme de cette pratique trompeuse facilitée par l’IA.

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L’info passée au crible des Vérificateurs

À première vue, le compte Vinted d’une jeune femme basée à Martigues (nouvelle fenêtre) semble proposer de belles opportunités aux partisans de la seconde main. Des robes ou ensembles, toutes triées dans la catégorie « Vintage Dressing » et jugés en « Très bon état » par la vendeuse. Pour preuve, des vêtements les montrant flambant neufs, portés par une jeune femme qui posant tantôt dans sa chambre, tantôt devant sa piscine, et cachant à chaque fois son visage.

Mais quand on s’intéresse d’un peu plus près aux clichés, quelque chose ne va pas, comme l’explique le Vérificateur Alexandre Capron dans la vidéo ci-dessus : des détails varient d’une photo à l’autre. La jeune fille est tantôt brune, tantôt châtain ou blonde. Les meubles de sa chambre changent de place ou d’apparence. Pour un même vêtement pris en photo, on peut même voir une plante changer de l’une à l’autre. Enfin, révélateur récurrent de l’IA, sa main tenant le téléphone est carrément dans une position anatomiquement impossible (voir ci-dessous). La raison est simple : cette jeune femme supposée vendre ses propres vêtements n’existe pas, et toutes les photos sont générées par l’intelligence artificielle.

Des anomalies visibles dans les images : sur la photo de gauche et de droite, montrant la même robe, la plante et les meuble changent d’une photo à l’autre. A droite, la main est dans une position impossible. – Vinted

L’IA au service d’une pratique trompeuse

La supercherie a été repérée par l’activiste écologiste Johan Reboul qui a publiquement interpellé Vinted fin juillet sur son compte Instagram (nouvelle fenêtre). « Je cherchais un pantalon, et j’ai commencé à trouver ces images un peu bizarres que je n’avais pas vues auparavant. D’habitude, sur Vinted, ce ne sont pas des photos très professionnelles, plutôt des personnes qui prennent leurs vêtements en photo sur le coin d’une table. J’ai alors réalisé qu’il y a un nouveau marché utilisant l’IA pour se faire passer pour de vraies personnes et mieux escroquer ».

Car en réalité, l’utilisation de l’IA se fait au service d’une tromperie au « dropshipping », traduisible par « livraison directe », permettant au vendeur de réaliser des profits importants. Les photos valorisent un produit qui n’existe pas en tant que tel, puisqu’il est porté par un mannequin virtuel. Lorsque l’utilisateur craque pour un vêtement, et le commande, le vendeur se le procure sur une plateforme de fast-fashion comme Shein ou Temu. 

L’acheteur pense avoir fait une affaire en achetant d’occasion, mais il a concrètement acheté un vêtement neuf, pour un prix en moyenne 3 à 4 fois supérieur au prix affiché sur la plateforme chinoise. Des produits généralement bas de gamme, bien éloignés des photos qui les magnifient. L’équipe des Vérificateurs a ainsi pu trouver une robe vendue neuve 22 euros sur Shein, et proposée à 66 euros sur Vinted.

Compte Vinted d'une vendeuse se présentant comme vivant à Martigues avec des photos générées par IA. - Vinted
Compte Vinted d’une vendeuse se présentant comme vivant à Martigues avec des photos générées par IA. – Vinted

D’autres plateformes de revente comme LeBonCoin ou Etsy hébergent également des annonces trompeuses à coup d’intelligence artificielle. L’équipe des Vérificateurs a cependant constaté que ce type d’annonces boostées à l’IA étaient bien moins facile à trouver sur celles-ci. Et pour cause : Vinted est actuellement le site leader de la seconde main en France. 

Contactée, la société lituanienne est claire : « Le dropshipping n’est pas une pratique tolérée sur notre plateforme.  Nous pouvons être amenés à masquer ou supprimer des annonces, voire à suspendre ou bloquer des comptes en cas d’une telle activité commerciale » explique Vinted. Malgré ces affirmations, l’équipe des Vérificateurs a pu constater que plusieurs comptes, pourtant épinglés par des influenceurs, étaient toujours en ligne et actifs. Vinted invite les acheteurs se sentant lésés par ce type de pratique à faire appel à leur « Protection acheteurs », des frais obligatoires appliqués automatiquement sur chaque commande, permettant ainsi un remboursement.

Une réponse qui ne convainc pas Johan Reboul : « Une plateforme qui est censée vendre du seconde-main, donc dans une démarche quand même plutôt écologique, et en train de devenir une plate-forme qui propulse la vente d’achats neufs sans qu’on le sache » regrette-t-il.

Vinted défend l’usage de l’IA

Pour autant, pas question d’interdire les photos par IA sur la plateforme. Vinted explique : « L’usage de l’IA en tant qu’outil de valorisation visuelle n’est pas interdit en soi, tant qu’il respecte nos conditions générales et ne nuit pas à la transparence sur la condition de l’article ». La société justifie cela en expliquant que cela permet notamment à certains vendeurs de « montrer comment tombe un vêtement porté, sans avoir à révéler leur visage » ou encore permet de « supprimer les arrière-plans inutiles ou les données personnelles », tout en plaidant pour une utilisation « dans le respect de la réalité de l’article mis en vente »

Une position qui ouvre la porte à des dérives selon Johan Reboul : « On s’en est sorti très bien depuis des années à vendre des vêtements sur Vinted sans intelligence artificielle, je ne vois pas pourquoi aujourd’hui ça serait indispensable. On va vite être dépassé par l’évolution de l’intelligence artificielle, et on risque bientôt de ne plus pouvoir reconnaître le vrai du faux, alors Vinted doit prendre de mesures conséquentes pour protéger ses utilisateurs » plaide-t-il.

Vinted, comme toutes les autres plateformes touchées par ces pratiques trompeuses, devra cependant se conformer au droit européen d’ici à un an. L’AI Act (nouvelle fenêtre) imposera aux plateformes d’étiqueter les images générées par IA et de mettre en place des systèmes de détection. En cas de manquement, elles risquent jusqu’à 35 millions d’euros d’amende ou 7 % de leur chiffre d’affaires mondial.

En attendant, le conseil le plus simple en cas de doute est d’effectuer une capture d’écran du vêtement en question, et utiliser un outil de recherche d’image inversée, par exemple Google Lens, pour rechercher l’image sur internet. Si le vêtement existe sur une autre plateforme de fast-fashion, il y a de fortes chances qu’il ne soit pas « vintage », et qu’il ait un prix nettement inférieur à celui du site de vêtements d’occasion.

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Alexandre CAPRON

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