- Au moins 29 fausses couvertures de Charlie Hebdo sur des thèmes anti-Ukraine ont été publiées par des comptes pro-russes.
- Le magazine satirique a décidé de porter plainte contre X.
- Une campagne de désinformation qui s’inscrit dans un détournement d’autres magazines satiriques en Europe.
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L’info passée au crible des Vérificateurs
Emmanuel Macron et le chancelier allemand Friedrich Merz apparaissent caricaturés près d’un ring de boxe où se trouve Volodymyr Zelensky, ensanglanté. Le premier déclare « Tu as l’air en pleine forme »
et le second ajoute « Tu es sur le point de gagner »
. Le président ukrainien, pourtant en sang, répond : « Poutine a définitivement peur de moi »
.
Ceci est la dernière fausse une de Charlie Hebdo
qui circule sur des réseaux pro-russes depuis le 15 mai dernier. Fausse, car il n’y a jamais eu d’édition le 15 mai 2025, comme l’indique la couverture. L’édition la plus proche de l’hebdomadaire a été publiée le 14 mai (nouvelle fenêtre), et caricaturait en une le Premier ministre François Bayrou sur la question de la laïcité.
Cette fausse une est l’une des dernières d’une série d’au moins 29 caricatures fabriquées et identifiées pr notre équipe et également par le média d’investigation russo-estonien de fact-checking
Provereno (nouvelle fenêtre) depuis septembre 2022. Toutes dénigrent l’Ukraine et son président, tout comme le soutien de l’Europe à Kiev. Leur dernière cible : Donald Trump, depuis qu’il a pour la première fois critiqué frontalement Vladimir Poutine, représenté au côté d’un Benyamin Nétanyahou ensanglanté.
Ces couvertures apparaissent généralement dans des groupes Telegram russophones bien identifiés, où elles apparaissent traduites en russe. Puis, elles essaiment sur d’autres plateformes, en particulier X ou Vkontakte, le réseau social principal en Russie, où elles sont présentées comme authentiques. Si certaines d’entre elles sont vues des centaines de milliers de fois sur Telegram, d’autres atteignent péniblement les quelques milliers de vues sur X. « Ils acceptent que la plupart de ces couvertures ne gagnent pas en popularité ni ne deviennent virales »
explique Ilya Ber, fondateur du site Provereno. « L’essentiel pour eux, c’est que quelques-unes d’entre elles ont connu le succès au fil du temps ».
Pour crédibiliser ces fausses unes, leurs auteurs vont parfois très loin. L’une d’entre elle a notamment été ajoutée numériquement en novembre 2024 dans un extrait de la chaine LCI pour donner l’illusion qu’elle avait été diffusée à l’antenne. Une séquence qui n’a, bien sûr, jamais eu lieu.
Plainte contre X
Plusieurs de ces unes présentent des erreurs grossières, rendant assez facile leur détection. Certaines comportent des fautes d’orthographe en français, ou des formulations étranges, probablement dues à une mauvaise traduction du russe. Dans d’autres cas, ce sont les thématiques abordées qui sont incohérentes avec les informations qui pourraient être mises en une de Charlie Hebdo
. C’est le cas avec une couverture sur le général ukrainien d’origine russe Sirskiy (nouvelle fenêtre), présenté comme le « général Cratère »
après des pertes militaires, mais qui est trop peu connu en France pour être l’objet d’un tel dessin.
Devant cette production quasi industrielle qui usurpe son nom, Charlie Hebdo
a décidé de contre-attaquer. Lundi 26 mai, le magazine a porté plainte contre X pour diffusion sur des réseaux sociaux de fausses couvertures, et publié un éditorial intitulé « Non, Vladimir Poutine n’est pas le nouveau directeur de Charlie Hebdo ». (nouvelle fenêtre) « On ne peut pas laisser croire qu’on signe des couvertures qui diffusent ce genre d’opinions. Ce ne sont pas des petits dessins par ci, par là, pour amuser la galerie, il y a vraiment une stratégie politique derrière »
nous explique Riss, le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire. Le caricaturiste a d’ailleurs vu sa signature usurpée sur plusieurs dessins, de même que le reporteur-dessinateur Juin.
🔴 Charlie Hebdo porte plainte contre X pic.twitter.com/pGSkKpl5nS — Charlie Hebdo (@Charlie_Hebdo_) May 26, 2025
Une opération de désinformation copiant les médias satiriques européens
Charlie Hebdo
est le premier média européen à porter plainte pour usurpation du style visuel de son journal. Avant lui, d’autres médias, comme Le Monde
(nouvelle fenêtre) ou Le Parisien
(nouvelle fenêtre),
avaient porté plainte contre des sites ou des vidéos imitant leurs chartes graphiques, toujours diffusés par des réseaux pro-russes.
Au total, selon le site Provereno (nouvelle fenêtre), au moins 70 unes de journaux auraient été fabriquées de toutes pièces lors de cette opération, baptisée « Dopplegänger
(nouvelle fenêtre)«
par l’ONG UE Disinfo Lab
, c’est-à-dire « sosie », en français. Cette campagne de manipulation copie en particulier plusieurs autres médias satiriques européens : Titanic
en Allemagne, El Jueves
en Espagne, ou Le Man
en Turquie. Ce dernier journal a d’ailleurs annoncé sur les réseaux sociaux soutenir la démarche de Charlie Hebdo
(nouvelle fenêtre),
sans pour autant porter plainte de son côté. « On était presque étonné au début qu’une stratégie de propagande russe pense à Charlie Hebdo pour faire de la propagande,
raconte Riss. Mais là, on voit que les auteurs de ces fausses unes ciblent un public qui aime la satire. Donc même la satire, c’est un enjeu de propagande pour eux ».
Avec 29 fausses unes sur 70 environ, Charlie Hebdo
est de loin le média le plus détourné dans le cadre de cette opération. « Les créateurs de désinformation russes continuent de créer ces couvertures principalement parce qu’un budget leur est alloué, et que c’est devenu leur marque de fabrique »
estime Ilya Ber pour expliquer pourquoi cette stratégie perdure depuis trois ans. Du côté des faussaires, la stratégie est évidente : capitaliser sur le ton satirique et à contre-courant de ces médias, pour rendre crédibles des unes favorables à Moscou en visant simultanément un public russe et international.
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