- De faux sites de médias générés par IA gagnent en visibilité sur les moteurs de recherche.
- Des articles sur les camping-cars, générés par IA, ont attiré l’attention des Vérificateurs de TF1info.
- Un business bien rôdé, décrypté par un journaliste qui enquête depuis un an et demi sur le sujet.
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L’info passée au crible des Vérificateurs
Tout a commencé avec des articles repérés par la rédaction de TF1info, qui comptent parmi les plus lus du web. Des articles surprenants, qui affirment par exemple que quatre départements vont dorénavant verbaliser les véhicules laissant leurs feux de croisement allumés en journée. Une série se focalise sur les camping-cars, assurant que ces derniers allaient devoir s’équiper d’extincteurs, d’un nouveau type de rétroviseur, ou annonçant que la commune de Sigean (Aude) avait verbalisé 118 propriétaires de camping-car en une seule nuit.
Tous ces contenus sont totalement faux, comme nous l’a confirmé la rédaction du Monde du camping car (nouvelle fenêtre) qui a rédigé un article à ce sujet. Aucune nouvelle obligation en vue, et la commune de Sigean n’a pas procédé à ces verbalisations. Ces articles provenaient tous du même site internet, se présentant comme un site spécialisé sur l’environnement, et depuis fermé. Et surtout, il présentait toutes les caractéristiques d’un site piloté par intelligence artificielle.
Formulations redondantes, faux journalistes et photos par IA
Ces exemples ne sont pas les seuls : TF1info repère très régulièrement des articles qui apparaissent dans le top 50 des articles les plus consultés d’internet, en provenant de sites douteux. Ils portent généralement sur des thématiques autour du quotidien des Français : les impôts, la retraite, le jardinage… Actuellement et à l’approche de l’été, l’équipe des Vérificateurs voit éclore des contenus viraux consacrés à la taille des haies, aux barbecues ou aux piscines.
Tous ces sites présentent les caractéristiques de sites gérés par IA : les formulations de ces articles interpellent avec des titres alarmistes, comme « c’est officiel »
, « la nouvelle est tombée »
ou « clap de fin »
incitant le lecteur à cliquer pour en savoir plus. La forme des articles est souvent la même : des paragraphes très courts, coupés d’intertitres généralistes, présentant des témoins cités uniquement par leurs prénoms. Enfin, clou du spectacle, des journalistes fantômes, dont certains présentent des photos manifestement générées par intelligence artificielle. Leur production, s’il s’agissait d’être humains, serait d’ailleurs stakhanoviste : certains « signent » jusqu’à une cinquantaine d’articles produits par jour.

Le phénomène n’est pas nouveau : il est documenté depuis un an et demi par le média Next.ink
(nouvelle fenêtre) et également dans plusieurs articles de Libération (nouvelle fenêtre). « J’ai identifié au moins 4.000 sites d’information générés par IA »,
explique Jean-Marc Manach (nouvelle fenêtre), journaliste indépendant et auteur des enquêtes pour Next.ink
. « Ces sites publient des articles totalement inventés, car ils savent que les gens vont cliquer sur des sujets du type
‘vous devez savoir’. D’ailleurs, ils se surveillent les uns les autres, et se paraphrasent en essayant de rajouter des éléments. »
La plupart des articles sont souvent dérisoires, comme l’annonce d’une imminente interdiction du papier-toilette, heureusement fictive. Mais ils peuvent être plus trompeurs, et ont même piégé des personnalités politiques. Manuel Bompard en a récemment fait les frais en relayant un faux chiffre sur les risques de récidives pour les peines avec sursis, comme nous vous l’expliquions ici (nouvelle fenêtre). Cette semaine, c’est l’ancien eurodéputé Gilbert Collard qui a partagé une publication affirmant que « après le 26 juin 2025, les haies dépassant 2 mètres à moins de 50 cm du voisin »
devaient « impérativement être taillées sous peine de sanction »
. Pourtant, la loi en matière de taillage des haies, venant de l’article 671 du code civil, n’a pas changé depuis 1881 (nouvelle fenêtre). Aucune nouvelle sanction n’est entrée en vigueur, et pour cause : elle venait là encore d’un site piloté par IA.
Le business des faux sites par IA
Selon Jean-Marc Manach, ces sites jouent principalement sur le fonctionnement des algorithmes de Google Discover
, plateforme de recommandations d’articles disponibles notamment sur les téléphones Android. « Au moins 150 de ces sites générés par IA ont été recommandés par Discover. Or, à partir du moment où vous avez un article qui y apparaît, ce sont des dizaines, voire des centaines de milliers de pages vues assurées. Et donc des milliers, voire dizaine de milliers d’euros de revenus publicitaires par jour ! »,
affirme-t-il.
Contacté par l’équipe des Vérificateurs, Google assure de son côté « identifier 99% des contenus trompeurs ou de faible qualité et les exclure de ses résultats »
tout en « prenant les mesures appropriées lorsque nous constatons des violations de règles de nos produits »
. Plusieurs sites identifiés comme générant des contenus trompeurs ne sont d’ailleurs plus disponibles actuellement dans les résultats du moteur de recherche. « Mais quand un est repéré, trois nouveaux titres sont créés »
, assure Jean-Marc Manach.
Le modèle est d’ailleurs bien rodé, et certains auto-entrepreneurs ou PME spécialisées dans le référencement sur internet ne s’en cachent pas. Elles rachètent, parfois aux enchères, des sites internet dont les entreprises ont été liquidées, ou laissés à l’abandon. C’est le cas du site qui a généré des contenus sur les camping-cars : au départ, c’était celui d’une start-up spécialisée en fourniture de matériel agricole, qui a périclité.
Puis, un système de publication par intelligence artificielle est adossé à ces sites, en paramétrant quelques données, comme les sujets ou les formulations recherchées. Leur objectif : cibler des sujets porteurs, pour se retrouver dans les algorithmes de Discover
. “Google, c’est 61% du trafic de l’ensemble des sites de presse en France. Et au sein de ce trafic Google, 68% du trafic vient de Discover”
affirme Jean-Marc Manach. Certains des administrateurs de ces sites se sont d’ailleurs vantés de générer jusqu’à 2 millions d’euros de chiffres d’affaires en trois mois avec cette méthode. D’autres n’hésitent pas à proposer des formations pour expliquer comment créer ce type de sites.
Comment éviter de se faire avoir par ces faux sites ?
En France, des actions juridiques ont été menées et ont abouti à la fermeture de sites (nouvelle fenêtre), notamment par des médias qui accusaient certains sites de plagier « jusqu’à 6.000 articles par jour »
explique Jean-Marc Manach. Le fait que ces articles trustent les places de Discover
est « autant d’argent qui aurait pu revenir ou dû revenir à la presse et à des médias employant des journalistes professionnels »,
regrette-t-il. Un manque à gagner énorme, que la presse aimerait empêcher. En Espagne, le gouvernement a déposé un projet de loi pour pénaliser très sévèrement, jusqu’à 35 millions d’euros d’amende (nouvelle fenêtre), le fait de publier des contenus générés par IA sans mentionner qu’ils le sont.
Du côté de Google, on encourage les utilisateurs à signaler les contenus jugés potentiellement douteux et générés par IA. Chaque utilisateur peut le faire en cliquant sur les trois points visibles à côté de chaque article, puis sur « signaler » et en sélectionnant « contenu trompeur ou visant à faire sensation ». Du côté de Next.ink
, une solution grand public a été développée : une extension (nouvelle fenêtre) pour Google Chrome (nouvelle fenêtre) et Firefox (nouvelle fenêtre)permettant de signaler à l’utilisateur, via une fenêtre s’affichant à l’écran, qu’il se trouve sur un site généré par IA. « En attendant, lorsque les informations émanent d’un site-web dont vous n’avez pas mesuré la réputation, il faut toujours prendre le temps de vérifier avant de partager un contenu »
, conseille Jean-Marc Manach.
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