- En amont de la journée de mobilisation sociale de ce jeudi, les autorités avaient dit redouter des heurts lors des rassemblements.
- La porte-parole de la police nationale a notamment mis en garde que se dissimuler le visage en manifestation, y compris pour « se protéger contre le gaz lacrymogène », est répréhensible.
- En réalité, le droit prévoit plusieurs conditions précises pour caractériser ce délit.
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L’info passée au crible des Vérificateurs
La journée n’est pas encore terminée que déjà, les syndicats se félicitent d’une large mobilisation (nouvelle fenêtre). Si les tensions sont pour l’heure restées localisées, les autorités avaient redouté des heurts importants (nouvelle fenêtre) au cours des rassemblements. En amont des défilés, elles avaient rappelé au passage quelques règles aux protestataires souhaitant se joindre aux cortèges à travers la France.
Invitée sur BFMTV (nouvelle fenêtre) ce jeudi, Agathe Foucault, porte-parole de la police nationale, est notamment revenue sur la question du camouflage du visage. « Avoir, sur un rassemblement, des objets qui vont permettre de se dissimuler le visage, de se protéger contre le gaz lacrymogène, ça constitue une infraction »,
a-t-elle assuré.
Mais dans les faits, les textes législatifs encadrant le droit de manifester sont plus nuancés. « On pourrait croire que toute dissimulation du visage pendant des manifestations serait interdite, mais en réalité, plusieurs conditions se posent. C’est vraiment très circonstancié »
, relève auprès de TF1info Clément Benelbaz, maître de conférence en droit public à l’Université Savoie-Mont-Blanc et membre du collectif Les Surligneurs (nouvelle fenêtre).
Plusieurs conditions précisées par une loi de 2019
Dans le détail, l’interdiction de cacher son visage lors de manifestations était déjà établie par un décret (nouvelle fenêtre) adopté en 2009. Ce dernier précisait qu’il était prohibé, « au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifi(é) dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public »
.
Il a ensuite été complété par la loi du 10 avril 2019 (nouvelle fenêtre). « Depuis ce texte, dissimuler son visage est un délit »
, explique Clément Benelbaz. L’article 431-9-1 (nouvelle fenêtre) détaille encore plus sa caractérisation : il est interdit, « au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime »
. Tout contrevenant s’expose à un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.
Plusieurs notions importantes sont ainsi introduites pour caractériser l’infraction, qui ne sont pas précisées par la porte-parole de la police nationale. Parmi elles, le fait que l’interdiction vaut dans un contexte de heurts (nouvelle fenêtre). « Il faut que les risques à l’ordre public soient tangibles, manifestes, et pas seulement hypothétiques. Il n’y a pas de présomption qu’une manifestation trouble en elle-même l’ordre public »
, pointe le professeur.
Quant au geste lui-même de dissimuler son visage, outre le caractère intentionnel, un autre élément est central : il est interdit de le faire « sans motif légitime »
. Or, contrairement à ce qu’avance la porte-parole, se protéger des gaz lacrymogènes peut être considéré comme une raison fondée. En octobre 2021, c’est l’argument qu’avait avancé la cour d’appel de Rennes pour relaxer un étudiant poursuivi pour dissimulation volontaire du visage, lors des manifestations contre la réforme des retraites (nouvelle fenêtre) dans la métropole bretonne, en janvier 2020.
Un manifestant relaxé pour s’être protégé légitimement
Dans sa décision, la juridiction a ainsi estimé que le jeune homme s’était protégé le visage à raison, comme l’avait relayé à l’époque Ouest-France
(nouvelle fenêtre). L’individu avait porté un masque de peinture sur le nez et la bouche, ainsi qu’un masque de plongée sur les yeux, relate-t-elle dans son arrêt, cité par le site de l’avocat Alexis Baudelin (nouvelle fenêtre). L’examen d’une vidéo a permis à la cour de constater la présence de « fumées provenant de gaz lacrymogène ou de fumigène »
, la laissant conclure « que les circonstances de la manifestation pouvaient favoriser la protection du visage »
.
Le document stipule ainsi qu’« est tolérée la couverture du visage par des éléments de protection, (…) pour se protéger par exemple des gaz lacrymogènes »
, tout en reconnaissant que « la distinction entre la dissimulation visant à cacher son identité ou à se protéger est ténue »
. Autrement dit, il souligne « qu’on ne se cache pas systématiquement le visage pour commettre une infraction »
, s’était alors réjoui l’avocat de l’étudiant, Me Nicolas Prigent, auprès de Ouest-France
.
En résumé, « dire que toute dissimulation de visage est interdite est un raccourci, tout comme d’affirmer que vous n’avez pas le droit de vous protéger contre des gaz lacrymogène ou autre chose »
, explique Clément Benelbaz. Mais « ce serait aussi un raccourci que de dire qu’on a le droit de se dissimuler le visage pendant les manifestations »
, nuance l’expert.
Quant à savoir si l’arrêt de la cour d’appel de Rennes pourrait faire jurisprudence pour des cas similaires dans le futur, il est difficile de trancher cette question, la Cour de cassation ne s’étant pas penchée sur le sujet, estime-t-il. « Mais quelqu’un qui se ferait arrêter au motif d’avoir caché son visage peut tout à fait s’appuyer sur la décision existante pour construire sa défense »
, souligne le juriste. Et de rappeler au passage que la plupart du temps, « les personnes interpellées ne le sont pas uniquement en raison d’une dissimulation du visage, qui représente souvent une infraction s’ajoutant à d’autres poursuites, liées à des heurts »
.
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