À huis clos le lundi 10 mars, Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Pio Marmaï et Jean-Paul Rouve ont été entendus par la commission d’enquête sur les violences commises dans le cinéma présidée par Sandrine Rousseau.
Pendant près de deux heures, les acteurs et réalisateurs ont répondu aux questions de onze députés sur l’impact du mouvement #MeToo et la culture du pouvoir sur les tournages.
Leurs témoignages, dont le compte rendu a été mis en ligne ce lundi 17 mars au soir par l’Assemblée Nationale et que TF1Info a pu consulter en avant-première, oscillent entre confidences introspectives, anecdotes et propositions. Ce qui en ressort également ? Un décalage entre leur perception et celle des actrices ayant témoigné avant eux.
« Est-ce que t’es un connard ? » : la méthode Jean Dujardin
Jean Dujardin, charismatique et pince-sans-rire, manie l’humour pour illustrer sa vigilance sur les tournages : « Généralement, quand je rencontre un metteur en scène, je lui pose une question un peu crue : ‘Est-ce que t’es un connard ?' », explique celui qui a incarné OSS 117. Une manière, selon lui, d’établir dès le départ un rapport de confiance. Pourtant, il reconnaît que lui aussi a pu passer à côté de certains moments qui ont pu être problématiques : « Il y a forcément des choses que nous avons loupées sur les plateaux. Évidemment. Des lourdeurs. Des choses qui nous semblaient totalement anodines ».
Son rapport aux scènes intimes évolue : « Sur des scènes intimes, surtout pour un pudique comme moi : c’est très difficile. On en parle avec sa partenaire ; il est arrivé que l’une d’elles me propose de prendre un petit shot de vodka, juste pour qu’on puisse avancer. Je lui ai répondu : ‘Si ça t’aide, il n’y a aucun problème. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?' ».
Aujourd’hui, l’acteur oscarisé de « The Artist » plaide pour un encadrement plus strict sur les plateaux: « On nous demande notamment si on a des idées. Je suppose que c’est aussi l’intérêt de cette commission. Il m’en est venu une. On n’a pas toujours le temps de s’exprimer sur ces sujets, mais il faut le prendre. À chaque début de tournage, à chaque début de semaine, le premier assistant, qui est souvent un personnage rond et éloquent, pourrait rappeler la charte éthique propre au tournage ; il prendrait deux ou trois minutes pour répéter la marche à suivre, ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire. »
Elle a été traumatisée, il s’en foutait complètement
Elle a été traumatisée, il s’en foutait complètement
Gilles Lellouche à propos d’une amie actrice confrontée à un réalisateur
Gilles Lellouche, tout aussi direct, raconte une histoire qui illustre l’impunité longtemps observée dans le milieu : « Par une amie actrice, j’ai été au courant de situations abjectes. Un réalisateur, pour préparer une scène d’amour, lui a demandé de venir dans son bureau et de se mettre toute nue pour qu’il sache comment la filmer. Elle avait 26 ans. Elle en a été traumatisée, elle a refusé et le réalisateur lui a fait vivre un enfer pendant tout le tournage, des violences physiques et psychologiques ».
Le parcours du réalisateur de « L’Amour Ouf » confie lui aussi avoir ressenti une forme de pression : « J’ai vécu une expérience qui ne m’a pas traumatisé mais qui m’a fait réfléchir sur les circonstances dans lesquelles on s’autorise à parler ou à se révolter. Il y a une quinzaine d’années, j’ai tourné un film avec une réalisatrice sans voir qu’elle voulait me séduire. » »Elle se montrait très, très tactile, poursuit-il. Je ne me sentais pas violemment agressé ; c’étaient des gestes comme des mains sous la chemise – si j’en faisais autant à une fille, ça ne serait pas normal. Donc, je me sauvais, mais ensuite, elle se vengeait et je prenais super cher. »
Pio Marmaï : « Avec le temps, j’ai compris que je me sentais forcé »
Le comédien Pio Marmaï évoque son début de carrière : « J’ai tourné beaucoup de scènes de nu et de relations sexuelles lorsque j’étais plus jeune. […] Peut-être pour me protéger, je me disais que je me foutais du résultat, que j’étais à l’aise, que rien ne m’atteignait. Avec le temps, je me suis rendu compte que je me sentais forcé ».
Celui qui incarne Porthos dans l’adaptation des « Trois Mousquetaires » plaide désormais pour une meilleure régulation de ces séquences : « Le coordinateur d’intimité est indispensable ». Comme les autres, il reconnaît une forme d’aveuglement face aux abus du passé : « depuis dix-sept ans que je suis comédien, j’ai entendu des choses, mais dans l’urgence des tournages, où il faut toujours aller de l’avant, dans le continuum du travail, il n’est pas facile de prendre le temps et le recul nécessaires pour faire la part des choses. »
Une actrice qui débute se demande toujours pourquoi elle a été choisie
Une actrice qui débute se demande toujours pourquoi elle a été choisie
Jean-Paul Rouve
Jean-Paul Rouve met en lumière un biais du cinéma français : « Nous, les comédiens, on sait qu’un metteur en scène nous choisit uniquement parce qu’il a envie de travailler avec nous. Mais une comédienne qui débute doit se demander chaque fois pourquoi elle a été choisie, si ça ne cache pas quelque chose de malsain », reconnait celui qui réalise et qui a interprété Gabriel Matzneff dans le film « Le Consentement ».
C’est sûr que j’ai dû être lourd, c’est évident
C’est sûr que j’ai dû être lourd, c’est évident
Gilles Lellouche
Au fil des échanges, les acteurs reconnaissent que leur propre comportement n’a pas toujours été exemplaire. « Si je dois faire une radioscopie de mes comportements, c’est sûr que j’ai dû être lourd, c’est évident », admet Gilles Lellouche. Pio Marmaï va dans le même sens : « Oui, je pense que j’ai pu être lourd dans ma façon de signifier les choses. J’essaye toujours de créer une atmosphère de travail assez douce et joyeuse et, à certains moments, j’ai dû faire des plaisanteries qui ont été mal comprises ».
Le mouvement MeToo a eu un début fracassant. C’était nécessaire.
Le mouvement MeToo a eu un début fracassant. C’était nécessaire.
Jean Dujardin
Sandrine Rousseau, présidente de la commission, observe : « Vous avez évolué au fil de nos échanges. Vous avez commencé par dire ne jamais avoir été témoins de quoi que ce soit, mais vous avez révélé certaines choses au cours de la discussion ». Un constat auquel Jean-Paul Rouve répond : « Nous ne sommes pas forcément au courant. Si je tourne un film avec une actrice, je n’apprendrai certainement qu’après le tournage s’il s’est passé quelque chose ».
Jean Dujardin conclut : « Le mouvement MeToo a eu un début fracassant. C’était nécessaire. Au début, j’ai eu le sentiment que ça commençait mal, mais il ne pouvait pas en aller autrement : il fallait taper fort pour que la parole soit entendue, ce qui est encore le cas ».
Et maintenant ?
Les acteurs soulignent que les formations obligatoires sur les violences sexistes et sexuelles sur les tournages sont un progrès. Mais suffiront-elles à transformer un système où la domination et le pouvoir restent centraux ?
Selon les informations de TF1Info, le rapport de la Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité sera remis le 9 avril. Les quatre autres acteurs ont eu quatre jours pour valider le compte-rendu de leur audition. Ils n’ont pas changé une virgule. Pierre Niney, initialement annoncé avec les autres, a été auditionné séparément à huis clos le jeudi 13 mars.