Le philosophe Paul Ricoeur, à Paris, en 1990.

« L’Imagination. Cours à l’université de Chicago (1975), suivi de Séminaire de la rue Parmentier (1973-1974) » (Lectures on Imagination), de Paul Ricœur, édité par George H. Taylor, Robert D. Sweeney, Jean-Luc Amalric et Patrick F. Crosby, traduit de l’anglais et préfacé par Jean-Luc Amalric, Seuil, « Bibliothèque Ricœur », 558 p., 27 €, numérique 19 €.

Depuis la disparition du philosophe français Paul Ricœur (1913-2005), et en dépit du nombre impressionnant d’ouvrages qu’il a publiés de son vivant, sa rigueur mêlée d’une curiosité souvent pionnière pour la philosophie qui se ­faisait « ailleurs », outre-Rhin ou outre-Atlantique, nous manque. Les ponts que lançait ce penseur protestant dans les ­directions les plus diverses où son immense culture l’entraînait (linguistique, littérature, exégèse, historiographie, neurosciences, etc.) l’avaient élevé, aux yeux de beaucoup de disciples et de simples lecteurs, en modèle et en inspirateur.

Proche du christianisme social, il exerça une influence intellectuelle considérable, notamment à travers la revue catholique de gauche Esprit, dont il était une référence. Il tenait toutefois, comme son contemporain Emmanuel Levinas (1905-1995), à séparer autant que possible son engagement de croyant du travail de philosophe. Comme la plupart de ses pairs depuis le XVIIIe siècle, Paul Ricœur fut un grand professeur d’université autant qu’un historien de sa discipline. Dans le « combat amoureux » qu’il menait avec ses prédécesseurs, il excellait à dresser l’état des lieux d’une question, avant d’avancer sur sa propre voie. C’est pourquoi ses livres à la clarté de cristal ajoutent la richesse d’un manuel aux plus hautes spéculations.

La publication d’un important inédit daté de 1975 – qui paraît en même temps que l’édition américaine –, L’Imagination, traduit de l’original anglais par Jean-Luc Amalric, synthétise tout ce qu’il y a d’exceptionnel dans ce parcours. Désertant le paysage français de Mai 68, où il avait été brutalisé par les étudiants de Nanterre, Paul Ricœur intégra en 1970 le département de philosophie de l’université de Chicago. Il partagea dès lors son enseignement et son temps entre Paris et l’Illinois, entre le français et un anglais devenu langue de la philosophie moderne, comme jadis l’allemand.

Réhabilitation d’une faculté décriée

Sur les bords du lac Michigan, il édifia donc une théorie de l’imagination, élément central de sa réflexion. Réparti en dix-neuf leçons parfaitement rédigées (comme l’étaient ses manuscrits, au dire de ses éditeurs), le cours se rattache à un autre enseignement prodigué en 1973, toujours à Chicago, sur le thème voisin de l’imaginaire social (L’Idéologie et l’utopie, Seuil, 1997). En 1975, Ricœur s’attelle désormais à dépasser les condamnations qui, depuis Aristote, qualifient l’imagination de « maîtresse d’erreur et de fausseté » (Pascal) ou de « folle du logis » (expression prêtée à Malebranche). Dans le sillage d’Alain et de Bachelard, il réhabilite cette faculté décriée. Loin de se réduire à reproduire des impressions en images, l’imagination a une dimension « productrice » et créative qui en fait l’intermédiaire obligé entre les sens et l’esprit. Ce plaidoyer devait culminer dans une théorie de la fiction littéraire ou artistique, demeurée inaccomplie – raison pour laquelle, sans doute, aucun ouvrage n’en résulta.

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