Nardaneh (Mahtab Keramati), dans « La Flamme verte », de Mohammad Reza Aslani.

L’AVIS DU « MONDE » – CHEF-D’ŒUVRE

Le choc produit à sa sortie, en août 2021, par L’Echiquier du vent (1976), film iranien maudit, frappé d’interdiction puis exhumé miraculeusement quarante ans plus tard, avait mis la puce à l’oreille quant à l’existence d’un artiste de tout premier plan ayant échappé aux filets de la veille cinéphile, Mohammad Reza Aslani. Né à Racht en 1943, formé aux Arts décoratifs de Téhéran, ce poète d’avant-garde, contemporain d’Ahmad Reza Ahmadi (1940-2023) et de Forough Farrokhzad (1935-1967), s’est, comme beaucoup d’autres lettrés de sa génération, mêlé de cinéma, mais à contre-courant.

Outre une production expérimentale en formats courts, qui lui valut l’étiquette suspicieuse de cinéaste « intellectuel », il ne put finaliser que deux longs-métrages de fiction, distants de trente-deux ans. C’est désormais au plus récent d’entre eux, La Flamme verte (2008), de faire l’objet d’une sortie en salle, à la faveur d’une copie fraîchement restaurée.

Œuvre énigmatique

Envisagé d’abord comme une rêverie autour de la citadelle de Bam, détruite lors d’un tremblement de terre en 2003, le tournage, repoussé de cinq ans, s’est replié dans une autre forteresse à proximité de Kerman. C’est en tout cas devant son enceinte cyclopéenne que, au début du film, s’arrête une famille traversant le désert en voiture et espérant trouver là de quoi se désaltérer. Nardaneh (Mahtab Keramati), soustraite à la surveillance de ses parents, se faufile parmi les ruines, guidée par une prophétie du fond des âges annonçant ses noces avec un mort.

Au fond d’une chambre, sous un dais, elle trouve un homme inanimé, le torse percé de sept épines. Un grimoire déposé à son chevet lui apprend comment le ramener à la vie, à condition de lire les sept histoires que ses pages contiennent. Chacune retrace au fil des siècles comment le château de Kerman fut renversé et conquis, passé de main en main. Chacune est l’occasion de rejouer dans des ères différentes la rencontre entre les amants, projetés dans la peau de personnages légendaires.

En lieu et place du drame historique qui aurait sans doute satisfait les autorités, Mohammad Reza Aslani livre une œuvre énigmatique, somptueuse traversée du temps doublée d’une profonde méditation sur l’histoire politique et la culture de son pays. Le cinéaste laisse libre cours à son inspiration poétique, se jouant des catégories établies comme celles du passé et du présent, du réel et du symbolique, pour mieux glisser des unes aux autres et les rendre perméables. Pour cela, il emprunte la voie du conte merveilleux, et plus encore des recueils de contes enchâssés, dans la plus pure tradition orientale, notamment des Mille et Une Nuits.

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