« Le Monde comme il va » est le titre de la nouvelle présentation d’œuvres de la collection Pinault à la Bourse de commerce. Et comme le monde va mal, l’exposition aussi. Elle montre l’un des côtés de la collection, le plus intéressant : le versant sombre, celui de l’humour noir et de la satire. Qu’un baigneur peint par Peter Doig à la Gauguin, avec palmiers et caleçon blanc, figure sur l’affiche et la couverture du catalogue ne peut se comprendre que par antiphrase : cette image de paradis tropical est un leurre.

La sélection occupe l’ensemble des espaces de la Bourse : une centaine d’œuvres de tous modes de création visuelle pour une trentaine d’artistes, vivants ou récemment disparus, de toutes nationalités et de toutes générations. Si l’on commence la visite par le deuxième étage, c’est pour se trouver aussitôt face à l’épave d’une Ferrari Dino accidentée que Bertrand Lavier a sauvée de la casse pour en faire une allégorie contemporaine, à mi-chemin entre Week-end (1967), de Jean-Luc Godard, et Crash (1996), de David Cronenberg, entre autres références cinématographiques possibles. Mais on peut aussi penser aux images de catastrophes routières agrandies par Andy Warhol, non moins cruelles.

Spectacle débilitant

Et si l’on commence par le rez-de-chaussée, c’est par les deux salles où circulent très lentement sur des chaises roulantes automatisées des mannequins de vieillards barbus comme des prophètes. Leurs vêtements signalent leur religion ou leur passé : ancien combattant de l’Armée rouge, rabbin, imam, pope, banquier, etc. Ce spectacle débilitant a été conçu en 2007 par les artistes chinois Sun Yuan et Peng Yu. Il avait été montré à la Conciergerie en 2014 et, dix ans plus tard, il est aussi pertinent, sinon plus encore, étant donné l’actualité. Afin d’aggraver un peu plus l’effet, les murs sont occupés par les deux tapisseries monumentales en noir et blanc de Goshka Macuga : les désastres du Proche-Orient et, symétriquement, les aimables manifestations de bonne conscience de l’Occident.

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Ainsi, que l’on aille dans un sens ou dans l’autre, le ton est donné. On le retrouve un peu partout : Him, l’Hitler faisant la prière de Maurizio Cattelan ; les immenses et grotesques Têtes de lémure en plâtre de Franz West (1947-2012) – lémure est le mot par lequel Ernst Jünger désigne les nazis dans son journal des années de guerre ; les sculptures de Rosemarie Trockel, dont l’une figure un quartier de viande – du Soutine en céramique – et l’autre une tête contre laquelle est appliqué un fer à repasser ; les céramiques de têtes monstrueuses de l’excellente artiste pop autrichienne Kiki Kogelnik (1935-1997) ou la pile de chemises blanches proprement pliées que percent deux longues pointes d’acier plantées par Doris Salcedo en sont des manifestations efficaces.

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