Sur le petit écran, l’œil d’aujourd’hui est d’abord happé par le décor : un papier peint aux motifs floraux luxuriants, bleu et mauve, qui s’accordent mal avec le costume aux fines rayures du ministre de l’économie, assis au premier plan. Ce 25 mars 1983, sur Antenne 2, Jacques Delors est chargé de justifier le très lourd plan de rigueur adopté le matin même lors d’un conseil des ministres exceptionnel. Il cherche ses notes des yeux, bute sur certains mots, visiblement mal à l’aise. Il dramatise d’abord l’enjeu – « Il y va de notre indépendance nationale » –, puis se veut rassurant : cet effort certes « massif » n’est que « provisoire », et « nous avons totalement épargné les revenus les plus modestes », affirme-t-il. Les mêmes phrases, ou presque, que Michel Barnier, quarante et un ans plus tard.
Malgré quatre décennies d’écart, le budget « de responsabilité » présenté par le premier ministre actuel rappelle à plus d’un titre le « tournant de la rigueur » de 1983. Même virage politique après de longues tergiversations puis un échec électoral, même ampleur de l’effort prévu, même objectif budgétaire, même refus du mot « austérité » malgré une série de mesures pour certaines assez similaires… Et même question aujourd’hui qu’hier : le plan de redressement lancé par un exécutif acculé financièrement portera-t-il les fruits espérés ?
En 1983, tout se cristallise dix jours avant l’intervention télévisée de Jacques Delors. Le 13 mars, la gauche, au pouvoir depuis deux ans, essuie une sévère défaite aux élections municipales. Elle perd 31 grandes villes, et n’est plus majoritaire en voix dans le pays. A l’Elysée, François Mitterrand hésite sur la façon de réagir. Ce coup de semonce politique se conjugue avec une situation économique problématique.
La relance keynésienne effectuée en 1981 après la victoire socialiste n’a pas eu les conséquences escomptées. Elle a vidé les caisses de l’Etat sans être relayée par une reprise dans le reste du monde, où de nombreux pays ont pris des mesures d’austérité en réaction au choc pétrolier de 1979. Les importations dépassent de beaucoup les exportations. Le chômage a continué à grimper malgré les nombreux emplois créés dans la fonction publique.
Un cocktail de dix mesures
Dès 1982, le premier ministre, Pierre Mauroy, et son ministre de l’économie, Jacques Delors, ont imposé des mesures de rigueur : dévaluation du franc, blocage des prix et des salaires, hausse de la fiscalité. Ils ont aussi voulu limiter un déficit budgétaire de plus en plus inquiétant. « Ce déficit est d’environ 3 % » du produit intérieur brut (PIB), « et il ne faut pas qu’il dépasse ce pourcentage », édicte François Mitterrand en juin 1982. Ce taux bien rond, inventé alors par la direction du budget du ministère des finances, connaîtra une postérité exceptionnelle : inscrit dans le traité de Maastricht en 1992, il sert désormais de boussole aux finances publiques de toute l’Europe, et le gouvernement Barnier espère le respecter en 2029.
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