Gaspard Kœnig exhorte à développer l’agroécologie à grande échelle, seule capable de redonner au sol sa fertilité. Sans cette dynamique, l’humanité est condamnée, martèle l’auteur d’Agrophilosophie. Réconcilier nature et liberté (Editions de l’Observatoire, octobre 2024, 336 pages, 23 euros) et d’Humus (Editions de l’Observatoire, 2023).
Quels sont l’état des sols et le degré d’urgence de la situation pour l’espèce humaine ?
L’humanité a toujours préféré regarder le ciel, comme Thalès dans le Théétète, de Platon, qui finit par tomber dans un trou. Le sol est encore très mal connu. Nous n’avons, à ce jour, découvert qu’un pour cent des espèces qui y vivent. Elles sont pourtant foisonnantes : trois tonnes de vers de terre par hectare évoluent sous nos pieds, aux côtés de millions de bactéries et de champignons… Le sol joue un rôle métaphysique fabuleux, puisqu’il convertit la mort en vie, en décomposant les corps organisés et en permettant à d’autres de naître. Sur le plan agronomique, un sol vivant est naturellement fertile.
Et pourtant, nous le détruisons. 60 % des sols européens sont appauvris ; ils perdent en moyenne 80 % de leur biomasse. Les rendements baissent, y compris dans les zones cultivées en conventionnel de manière intensive. Cet appauvrissement menace l’alimentation, mais aussi la biodiversité, le stockage de carbone, la filtration et le stockage de l’eau, etc.
La bonne nouvelle, c’est que la nature est résiliente. Si on les laisse tranquilles pendant cinq ou dix ans, les sols peuvent se reconstituer. La mauvaise nouvelle, c’est que, une fois la roche-mère atteinte, il faut attendre mille ans pour qu’un sol réapparaisse : 40 centimètres d’humus et une forêt primaire…
Quelles sont les solutions pour sortir de cette situation mortifère dont l’être humain est à l’origine ?
Les rendements agricoles actuels ne sont pas pérennes, puisqu’ils reposent sur la destruction du capital qu’est la terre. La transition écologique doit moins passer par la décarbonation industrielle, qui est abstraite, technique et centralisée, que par la transition agroécologique. Nous entrons à nouveau dans une ère physiocratique, où la question agricole va devenir primordiale. Le principe de l’agroécologie est de répondre aux problèmes posés par la nature par des solutions fondées sur la nature. On le trouve bien formulé par Henry David Thoreau quand il décrit la culture de son champ de haricots dans Walden. Cela implique de renoncer progressivement aux intrants chimiques et même au labour, rompant ainsi avec dix mille ans de pratique agricole.
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