Jugée pour détournement de fonds publics, Marine Le Pen risque une peine d’inéligibilité pouvant aller jusqu’à dix ans.
Si une telle sanction était prononcée, pourrait-elle empêcher la cheffe des députés Rassemblement national de se présenter à l’élection présidentielle de 2027 ?
Plusieurs scénarios sont possibles.
Les enjeux politiques du procès sont très lourds. Le 30 septembre dernier, s’est ouvert le procès de Marine Le Pen et d’une vingtaine d’autres prévenus soupçonnés d’avoir détourné des fonds du Parlement européen pour rémunérer des assistants d’eurodéputés travaillant en réalité pour le Front national entre 2004 et 2016. La cheffe des députés RN risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende, ainsi qu’une peine d’inéligibilité.
Si une telle sanction était prononcée, elle aurait « des conséquences extrêmement graves », a défendu Marine Le Pen à la barre. « Cela aurait pour effet de me priver d’être candidate à la présidentielle, voilà », a-t-elle estimé. « Derrière, il y a 11 millions de personnes qui ont voté pour le mouvement que je représente. Donc demain, potentiellement, ce sont des millions de Français qui de fait se verraient privés de leur candidat à la présidentielle ». Est-ce vraiment un scénario envisageable ?
Marine Le Pen pourrait écoper d’une peine d’inéligibilité pouvant aller jusqu’à dix ans – la peine prévue est de 5 ans, mais elle peut être portée à 10 ans pour les personnes exerçant un mandat électif public au moment des faits, qui est une circonstance aggravante. La peine d’inéligibilité est une peine complémentaire, c’est-à-dire prononcée en plus d’une peine de prison ou d’une amende. Mais s’il y a encore quelques années l’ex-présidente du parti aurait pu être condamnée à de la prison ou à une amende sans se voir privée de la possibilité d’être candidate depuis, via plusieurs textes récents, le prononcé d’une telle peine est obligatoire pour les cas de détournement de fonds publics ou d’atteinte à la probité.
Des peines d’inéligibilité obligatoires… sauf « décision spécialement motivée »
La défense de Marine Le Pen pensait échapper à ces obligations, estimant que les faits reprochés à l’ancienne candidate à la présidentielle étaient antérieurs aux dates d’entrées en application de ces textes, qui ne sont pas rétroactifs. Puisque Marine Le Pen est responsable juridiquement des détournements de fonds publics de son parti de 2011 à 2016, elle pensait éviter de tomber sous le coup de la loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017.
Le texte précise en effet qu’« une peine complémentaire d’inéligibilité sera obligatoirement prononcée, sauf décision spécialement motivée, pour les crimes et pour une série d’infractions relatives à la probité, dans la mesure où ces infractions portent atteinte à la confiance publique ». Mais le parquet pourrait estimer que les contrats d’assistants parlementaires n’ont été clos que lorsque le Parlement européen a régularisé les fonds, ce qui a débordé après 2016, et donc que Marine Le Pen pourrait tomber sous le coup de cette loi.
Quand bien même Marine Le Pen pourrait échapper à cette loi, le parquet a rappelé que le caractère obligatoire de l’inéligibilité remontait finalement à la loi dite Sapin 2 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique entrée en vigueur le 11 décembre 2016. Donc dans la période des faits reprochés à Marine Le Pen, à une vingtaine de jours près.
Cette loi rend également obligatoire la peine complémentaire d’inéligibilité. « Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur », précise le texte. Ainsi, comme pour la loi de 2017, l’inéligibilité n’est pas une fatalité pour Marine Le Pen.
Appel et pourvoi en cassation : les délais pourraient sauver Marine Le Pen
Si une peine d’inéligibilité était prononcée à l’encontre de la députée, celle-ci l’empêcherait-elle de se présenter à la prochaine élection présidentielle prévue en 2027 ? Pas nécessairement. Une personne condamnée qui a fait appel ne le sera de façon effective qu’après cet appel, l’exécution de la peine est alors repoussée au lendemain de la décision de la cour d’appel. À l’issue d’un hypothétique premier appel, Marine Le Pen pourrait encore gagner du temps en formant un pourvoi en cassation. Il est difficile de savoir jusqu’à quel calendrier toutes ces procédures pourraient mener la députée, mais il est fort possible que cela repousse toute décision définitive jusqu’après le printemps 2027.
L’AFP a comparé les délais habituels de la justice à l’agenda politique de Marine Le Pen et estime que la décision du procès sera rendue d’ici trois mois, qu’un procès en appel se tiendra un an plus tard, avec de nouveau trois mois avant le rendu d’une décision en appel, soit juin 2026 environ. Ensuite, pour l’étape du pourvoi, l’agence de presse estime que la Cour de cassation rend en moyenne ses arrêts en cinq mois, avec un délai qui, dans les cas complexes, peut s’étendre à deux ans. Il est donc probable que Marine Le Pen ne soit pas fixée de façon définitive avant la présidentielle de 2027.
Le risque d’inéligibilité avec « exécution provisoire »
Mais attention, l’appel est suspensif sauf si le tribunal prononce une peine d’inéligibilité avec « exécution provisoire ». Dans ce cas-là, malgré un possible appel de la décision, l’inéligibilité entrerait immédiatement en application. Si une telle peine était prononcée, elle empêcherait Marine Le Pen de se présenter à une nouvelle élection, et cela pour la durée de peine décidée par le tribunal. Cette possibilité pourrait donc fortement compromettre les chances de la fille de Jean-Marie Le Pen d’être candidate en 2027.
En revanche, son statut de parlementaire la protège d’une démission immédiate de son mandat ; celle-ci ne s’appliquerait qu’en cas de condamnation définitive après un possible appel. Toutefois, si Marine Le Pen venait à perdre son mandat, par exemple à la faveur d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, elle ne pourrait pas candidater à sa réélection à ce dernier. Aussi, personne ne sait comment le Conseil constitutionnel, chargé d’enregistrer et d’examiner les candidatures à la présidence de la République, accueillerait celle d’une personne sous le coup d’une peine d’inéligibilité en cours.
La cheffe des députés RN espère sûrement connaître le même sort que le président du MoDem François Bayrou, récemment jugé avec plusieurs membres de son parti pour une affaire similaire de détournement de fonds du Parlement européen. Le maire de Pau avait été relaxé « au bénéfice du doute ». Plusieurs des autres prévenus avaient été condamnés à des peines allant de dix à dix-huit mois de prison avec sursis, des amendes de 10.000 à 50.000 euros et à deux ans d’inéligibilité avec sursis.