Si les victimes de paralysie du sommeil croient parfois discerner des démons, ceux-ci disparaissent généralement après la crise. Michelle, l’héroïne de Sorry We’re Closed, qui sort jeudi 14 novembre sur PC, ne peut pas en dire autant. De son lit, elle assiste impuissante à l’intrusion de La Duchesse, entité infernale, androgyne, aguicheuse et mystérieuse qui lui confère le pouvoir du troisième œil : une malédiction qui lui permet de percevoir le monde chtonien qui se superpose au sien, mais qui la promet également à une servitude éternelle si elle ne s’en débarrasse pas fissa.
Sorry We’re Closed est pour le meilleur et pour le pire un titre horrifique à la mode des années 1990, avec de vrais relents d’Alone in the Dark (1992, pour son lot de caméras fixes et de déplacements raides) et de Silent Hill (1999, pour sa sélection fournie de décors industriels à l’abandon). Mode nostalgique tenace en ce moment, les graphismes usent de très peu de polygones, sont floqués de textures pixélisées et évoquent évidemment des souvenirs liés à la première PlayStation ou à la Nintendo 64.
Activé, le troisième œil de Michelle forme autour d’elle une bulle au sein de laquelle les choses lui sont révélées pour ce qu’elles sont véritablement. Les décors reprennent des couleurs et les démons à conjurer dévoilent leur vrai point faible : un cœur battant dans lequel il convient de tirer à vue. Le formidable Killer7 (2005) de Goichi Suda et ses zombis invisibles arborant un similaire talon d’Achille ne sont pas non plus très loin.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose qui rappelle le travail du créateur japonais. Tout l’univers de Sorry We’re Closed s’amuse à mélanger la rouille avec le pop art fluo, les codes vidéoludiques avec le rococo, l’imagerie religieuse et le sexe. C.Bedford, illustrateur et créateur de comics, moitié du studio britannique A la mode games, est un spécialiste de la représentation des corps, souvent masculins, souvent nus. Impossible de passer à côté de son travail : il est ici placardé sur de nombreux murs et compose un contraste on ne peut plus baroque avec les ténèbres sanglantes.
Le diable est dans le détail
Car l’horreur n’est finalement qu’une esthétique parmi les autres, un prétexte – voire un objet de désir ostentatoire. Et qu’importe si le propos en filigrane sur les relations toxiques et la reconstruction après la rupture, parfois confus et peu subtil, s’encombre de trop de personnages et de trop de maniérisme pour une si petite aventure (sept heures à tout casser). Tel un Rocky Horror Picture Show vidéoludique, Sorry We’re Closed est surtout là pour poser, et dieu qu’il pose bien.
Dommage, mille fois dommage, que cette proposition si puissante, si intéressante soit pénalisée par des maladresses dans la conception des niveaux, des combats de boss extrêmement inégaux ou des phases de course-poursuite franchement ratées. La mise en scène manque souvent d’une ambiance sonore digne de ce nom, comme s’il manquait des bruitages et des musiques.
Pourtant, sans prévenir, à l’occasion d’un affrontement tendu dans une cathédrale ensanglantée, voilà que déboulent les Américains de l’Okumura Music Group dans nos oreilles pour un rap endiablé. On pardonne alors l’amateurisme d’autres séquences et on cède au plaisir coupable de cette farce fabuleuse qui, finalement, ne manque pas d’âme – même si elle l’a certainement vendue au diable.
L’avis de Pixels
On a aimé :
- L’esthétique baroque, néorétro, d’une maîtrise indéniable ;
- Le cœur du gameplay, efficace.
On a moins aimé :
- Des petites maladresses qui s’accumulent et qui peuvent aller jusqu’à l’occasionnel ratage ;
- Le sound design, pas à la hauteur du reste de la proposition artistique.
C’est plutôt pour vous si…
- Vous vous rendez aux ateliers « rites sataniques » organisés par votre CSE tous les samedis à 23 h 30.
Ce n’est plutôt pas pour vous si…
- Vous dites « vade retro » à la maniabilité raide des jeux rétro.
La note de Pixels :
666